Aloysius Bertrand
(1807-1841)

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Pèlerinage à Notre-Dame-de-l'Étang

Pélerins, mes amis, et vous, ô demoiselles !
Qui suivez à pas lents le pénible chemin,
Prions le Paraclet de nous prêter ses ailes,
Ou l'ange conducteur de nous donner la main.
 
Le vieux rocher moussu dont la cime est flêtrie,
Et le chêne, là-haut, et l'épais noisetier
Dont les feuillages blancs tombent dans la prairie,
Avec tous leurs festons, pendent sur le sentier.
 
Mais nos pas ont atteint les sommets solitaires;
Les lierres plus touffus rampent sur le gazon,
Les bois ont plus d'odeurs, de bruit et de mystères,
Et le soleil plus doux se lève à l'horizon.
 
Respirons un moment au haut de la colline,
Et contemplons de loin, à travers les rameaux,
Le torrent écumeux, la roche qui s'incline,
Le doux émail des prés et les toits des hameaux.
 
Quand donc la sainte croix du gothique ermitage
Nous apparaîtra-t-elle à l'horizon lointain,
Comme aux yeux des élus le céleste héritage,
Ou comme le soleil, roi brillant du matin?
 
La voilà! la voilà! Voyez-vous la chapelle?
Et n'entendez-vous point une voix dans les airs?
Des anges l'on dirait la voix qui nous appelle,
Ou la cloche qui tinte au fond de ces déserts.
 
(3 septembre 1827)
 
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Regrets

I
Lorsque, rêvant d'amour, dans l'oubli de la vie,
Nos bras s'entrelaçaient, ma main pressait ta main,
Oh! qui m'eût dit alors qu'à mes baisers ravie,
     Tu me fuirais le lendemain.
 
II
Ils ne reviendrons plus, et faut-il te l'écrire!
Ces jours si tôt passés et passés à jamais,
Ces jours purs et sereins, tes baisers, ton sourire,
     Et jusqu'à tes pleurs que j'aimais!
 
III
Alors, jeunes tous deux et sans inquiétude,
Et goûtant du plaisir le charme empoisonneur,
Ensemble nous cherchions l'ombre et la solitude;
     Pour y cacher notre bonheur
 
IV
Et maintenant, combien il fut court ce beau songe!
Et maintenant, hélas! séparés pour toujours,
Ce doux bonheur n'est plus qu'un aimable mensonge
     Qui caressa nos premiers jours.
 
(20 juin 1828)
 
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Le pasteur de Saint-Wilfrid
fabliau

Aucun voyageur ne chemine,
Vêtu de bure ou bien d'hermine,
     Par le sentier,
Qui n'aille, chantant son cantique,
S'agenouiller au seuil gothique
     Du vert moûtier.
 
Le lierre, de son frais ombrage,
Du choeur embrasse le vitrage,
     Tout à l'entour,
Et l'on voit l'un et l'autre mage,
Et la Vierge, brillante image
     En grand atour.
 
C'était quand la blanche rosée
Scintille sur l'herbe arrosée
     Comme des pleurs;
Quand l'hirondeau sur notre rive
Aux premiers jours d'avril arrive,
     Avec les fleurs.
 
Or, un beau soir qu'au presbytère
Le pasteur dormait solitaire
     Près des tisons,
Il ouït une voix lointaine,
Murmurant comme la fontaine,
     Sous les gazons.
 
La voix disait...
 
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Le tombeau d'Edwin

Au retour du printemps et des brises légères,
     Les bergers avec les bergères
Sous les pampres fleuris aimeront à s'asseoir;
Et le son des pipeaux, - qu'il est doux de l'entendre
     Depuis l'aurore jusqu'au soir ! -
Gémira tout le jour, mélancolique et tendre.
 
On n'y verra l'été que les bois et les cieux,
L'abeille voyageuse et murmurant lointaine,
Les oiseaux jaune-verts des lacs silencieux,
Et la biche et le faon, au bord d'une fontaine.
 
La fauvette timide et les petits oiseaux,
      Et l'indolente tourterelle,
Tantôt seront bercés sur le miroir des eaux,
Tantôt agiteront les feuilles, les roseaux,
De murmures charmants et du bruit de leur aile.
 
     Le rouge-gorge qui descend
De rameaux en rameaux, à travers la feuillée,
     Laissera tomber en passant
La mousse de son nid et la rose effeuillée.
 
Edwin, tout en ces lieux te rappelle aux pasteurs,
Et des limpides eaux l'ondoyante ceinture,
     Et ces bocages enchanteurs,
Ce vallon, ton berceau, ces bois, ta sépulture,
     Chaque scène de la nature.
 
     Tout en ces lieux aime à nourrir
     Ta douce mémoire et nos larmes,
     Toi qu'on cessera de chérir
     Quand la vertu perdra ces charmes.
 
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A la lune

Beau pélerin du ciel, que mon oeil accompagne
A travers l'azur pâle où tu marches longtemps,
N'as-tu pas rencontré dans la haute campagne
Quelque asile entouré d'un éternel printemps?
 
C'est là que sans espoir, rêveuse fiancée,
Un jeune ange m'attend, - son aile a sept couleurs, -
Pour renouer aux cieux la chaîne commencée,
Dont les légers anneaux sont de brillantes fleurs.
 
Comme un pâle rayon de ta molle lumière,
De cet ange baigné de mon dernier adieu
L'âme vers son séjour remonta la première,
Digne toujours du ciel et des regards de Dieu.
 
Et moi, demeuré seul, moi, l'enfant de la terre,
Ange de ma jeunesse, après t'avoir chanté,
Dans le lit de la tombe endormi solitaire,
J'ai pour rêver à toi toute une éternité.
 
(1er août 1828)
 
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La jeune fille

Est-ce votre amour que vous regrettez ?
Ma fille, il faudrait autant pleurer un songe.
                                       ATALA

 
Rêveuse et dont la main balance
Un vert et flexible rameau,
D'où vient qu'elle pleure en silence,
La jeune fille du hameau?
 
Autour de son front je m'étonne
De ne plus voir ses myrtes frais;
Sont-ils tombés aux jours d'automne
Avec les feuilles des forêts?
 
Tes compagnes sur la colline
T'ont vue hier seule à genoux,
O toi qui n'es point orpheline
Et qui ne priais pas pour nous!
 
Archange, ô sainte messagère,
Pourquoi tes pleurs silencieux?
Est-ce que la brise légère
Ne veut pas t'enlever aux cieux?
 
Ils coulent avec tant de grâce,
Qu'on ne sait, malgré ta pâleur,
S'ils laissent une amère trace,
Si c'est la joie ou la douleur?
 
Quand tu reprendras solitaire
Ton doux vol, soeur d'Alaciel,
Dis-moi, la clef de ce mystère,
L'emporteras-tu dans le ciel?
 
(30 septembre 1828)

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