Anonyme

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Chanson sur l'usage du caffé,
sur ses propriétez
et sur la manière de le bien préparer
(1711)

Notice.

C'est toi, divin Café, dont l'aimable liqueur,
Sans altérer la tête, épanouit le coeur.
………………………………………
Mon idée était triste, aride, dépouillée,
Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.
DELILLEImagination, ch. IV.



Ce breuvage, qui a transporté en Europe l'énergie vitale et la suavité aromatique qu'il doit à son climat natif, n'est devenu Français que depuis moins de deux siècles, quoiqu'il fût Européen un siècle auparavant, et que depuis quatre cents ans les Orientaux en connussent l'usage. Un auteur arabe du XVe siècle, Sheabeddin, dit que le premier qui ait pris du Café, est un Muphti d’Eden, qui vivait au IXe siècle de l'Hégire, vers 1400 ; mais, selon une tradition plus connue, ce sont les chèvres qui ont enseigné aux hommes l’usage du Café. Un Mollach voyait avec peine que ses Derviches étaient souvent surpris dans leurs prières par le sommeil. Il aperçut un jour des chèvres qui, après avoir brouté les fruits d'un joli arbuste, sautaient et cabriolaient avec une extrême gaîté. Le pâtre qui les gardait lui dit que quand elles avaient mangé de ce fruit, elles étaient éveillées toute la nuit. Le pieux Mollach en fit l'épreuve sur lui-même, il en prit une forte infusion qui lui procura toute la nuit un délicieux enivrement, il en fit prendre à ses Derviches, et bientôt le Café fut recherché par les dévôts Musulmans comme un présent du Ciel, envoyé par Mahomet lui-même.

Le Café, originaire du royaume d'Yemen, dans l'Arabie Heureuse, passa d'Eden à Médine, à la Mecque, au Caire, et dans tout l'Orient. On en prit dans les Mosquées pendant les prières. Bientôt il s'éleva de nombreuses boutiques où l'on distribua celle boisson au public.

Les voyageurs importèrent le Café en Europe, Pietro della Valle en Italie, la Rogue à Marseille, Thévenot à Paris. Un Levantin établit en 1643 une boutique sous le Petit Châtelet ; mais ce fut Soliman Aga, ambassadeur de la Porte près de Louis XIV, en 1669, qui introduisit en France l'usage du Café, qu'il offrait, selon l’habitude des Turcs, à toutes les personnes qui venaient le visiter. Après le départ de Soliman, l'arménien Pascal éleva un Café à la Foire Saint-Germain : on n'y payait la tasse que 2 sous 1/2. Il eut un grand concours de monde, et fit de brillantes affaires. On appelait son établissement le Beau Café, et on connaît de très jolis vers d'un poète nommé Thomas, qui en font la description. (L’Encyclopédie poétique, par de Gaigne, tome 3, page 284.) Après Pascal vint Maliban, puis Grégoire, qui porta son établissement rue Mazarine, afin de s'approcher de la Comédie, qui était rue Guénégaud. Un petit boiteux, surnommé le Candiot, se mit alors à parcourir les rues de Paris, avec un éventaire, et à débiter du Café à domicile, à 2 sous la tasse, sucre compris. Joseph ouvrit un Café au bas du pont Notre-Dame, et Etienne un autre au bas du pont Saint-Michel. Tout cela fut éclipsé par l'industrie du sicilien Procope, qui après avoir commencé à la Foire Saint-Germain, alla s'établir vis à vis de la Comédie française, rue des Fossés Saint-Germain , où son Café subsiste encore sous le nom de Zoppi. Le voisinage du théâtre y amena les auteurs dramatiques, et tous ceux qui dans ce temps où la littérature était une grande affaire, allaient y discuter du mérite des pièces, et de toutes les questions littéraires et philosophiques à l'ordre du jour. J.-B. Rousseau, La Mothe, Boindin, Piron, Fréron, y siégeaient habituellement. C'est de là que sortirent les fameux couplets qui firent exiler J.-B. Rousseau. Voltaire fait dire à son pauvre diable.

Après midi, dans l'antre de Procope,
C'était le jour où l'ont jouait Mérope,
Seul en un coin, pensif et consterné,
Rimant une ode, et n'ayant point dîné, etc.

Mérope fut jouée en 1713.

Les Cafés firent tomber les cabarets où s'étaient jusqu'alors enivrés gaiement les hommes de la meilleure compagnie. Il s'en établit un sur le quai de l'Ecole, à l'endroit ou est aujourd'hui le Café Manoury. Sous la Régence, qui commença en 1715, parut le Café de ce nom, qui existe encore, où J.-J. Rousseau faisait sa partie d'échecs, et où il parut un jour vêtu en Arménien. Le premier Café qui fut établi au Palais-Royal fut le Café de Foy, qui prit le nom de son propriétaire. Parmis les habitués, on remarquait le célèbre Carle Vernet, qui ayant un jour jeté au plafond un pinceau qui fit une tache noire, monta sur la double échelle du barbouilleur, et de la tache fit une hirondelle que l'on y admire encore. Vers le milieu du règne de Louis XV, on compta à Paris six cents Cafés, leur nombre s'élève aujourd'hui à plus de trois mille. Nous ne pouvons pas donner dans cette Notice l'histoire intéressante de la manière dont cet arbrisseau précieux fut transplanté dans nos colonies : nous dirons seulement qu'à l'époque de la Révolution, la partie française de Saint-Domingue produisait près de 50 millions de livres de Café, la Guadeloupe et la Martinique environ 30 millions, et que cette quantité serait insuffisante, jointe à tout ce qui vient de l'Orient, pour satisfaire à la consommation actuelle. Aussi des industriels économistes s'avisèrent-ils de déguiser en Café le gland, là carotte, la betterave, l'orge, le seigle, la châtaigne, les pois chiches !... Il est telle bonne femme qui assure que le Café ne serait pas bon si l'on n’y mêlait un peu de chicorée. Le nom de Café sert de passeport à tout cela : ce qui fait voir combien les grands noms font passer de mauvaises choses. Le titre de Café, est resté à tous les établissements où l'on va se rafraîchir ou perdre son temps. On sait combien de choses diverses s'y débitent, sans compter les nouvelles vraies ou fausses ; mais les Cafés ne sont plus maintenant un lieu de rendez-vous ou de conversation. Ils étaient autrefois ce que sont aujourd'hui les Cercles ; ou y va maintenant s'isoler à sa table et lire les journaux. Dans quelques uns, des habitués vont faire la partie de domino ; mais ce sont ceux de bas étage, où l'on vend plus de bière que de choses délicates. Les glaces sont devenues aussi un commerce des Cafés.
     
A l'époque de la Révolution, les Cafés furent transformés en clubs, et chacun prit une couleur ; le Café Chrétien était Jacobin. Devant le Café de Foy, qui avait pour vestibule le Palais-Royal, se réunissaient des groupes révolutionnaires, et c'est là que Camille Desmoulins, monté sur une table, harangua la foule assemblée, le 13 Juillet 1789 et proposa de marcher contre la Bastille.
     
Le Café de Valois a longtemps gardé sa physionomie aristocratique. Lors de la Restauration, le Café Montansier fut un rendez-vous d'énergumènes, où se passèrent des scènes violentes.
     
Le Café Tortoni est de nos jours le rendez-vous des spéculateurs et une espèce de succursale de la Bourse.

Sous l'Empire, deux Cafés se partagèrent la faveur populaire. Qui n'a pas entendu parler de la belle limonadière du Café du Bosquet ! Et quel provincial n'est pas allé admirer le Café des Mille Colonnes, où plus tard la dame du comptoir a eu pour fauteuil un trône acheté à la vente après faillite d'une tête couronnée.

On ferait un volume in-folio de l'histoire seule des Cafés de Paris.
     
Au commencement de la Révolution, on joua la Comédie dans beaucoup de Cafés, sur les boulevarts, au Palais-Royal, sur les quais. Dernièrement encore, on a vu sur le boulevart du Gymnase le Café-Spectacle, qui a disparu. Ce genre d'amusement n'existe plus qu'au Café du Sauvage.
     
Les Cafés sont aujourd'hui des restaurants, on y déjeûne à la fourchette, et on y fait des dîners somptueux. Le brillant Café de Paris est le rendez-vous de nos lions.
     
La Chanson qui a motivé cette Notice, a été faite à l'époque de la première vogue du Café : elle est imprimée en forme de placard, et elle était sans doute destinée à être affichée dans les cafés ; elle est revêtue de l'approbation, et signée de M. de Voyer d'Argenson, alors lieutenant de police. La date est de 1711. La poésie de cette Chanson n'est pas irréprochable, les rimes n'en sont pas riches, ce qui fait qu'on ne peut pas l'attribuer à l'un des poètes distingués de cette époque : mais plutôt à quelqu'un de ces faiseurs qui rimaient abondamment sur tous les sujets. C'est une théorie développée des propriétés du Café et de la manière de le bien faire. On ne connaissait pas alors la façon de le brûler au tambour. On le faisait rissoler dans une petite poêle de terre vernissée, et les vrais amateurs le faisaient infuser dans une chausse de futaine, qui a été remplacée depuis par les passoires en métal ; c'est ce qu'on appelle sans ébullition.
     
Nous trouvons dans cette Chanson l'usage de la réclame, si fort employée de nos jours, et l'adresse du sieur Vilain, marchand rue des Lombards qui avait apparemment la vogue.
     
On sait que Madame de Sévigné disait de Racine qu'il passerait comme le Café. Sa prédiction s'est vérifié en ce sens, que l'un n'a pas plus passé que l’autre.

Les antagonistes du Café disaient que c'était un poison. Oui, répondit Voltaire : mais un poison lent, car voilà cinquante ans que j'en prends et je ne suis pas encore mort.

Le poète Lainez a fait un éloge du Café, dans lequel on remarque les vers suivants :

Si de son temps Homère en eut connu l'usage,
Il n’aurait jamais sommeillé !

DU MERSAN
.

Texte.
Sur l'Air : Les Bourgeois de Chartres, &c

I.

Si vous voulez sans peine
Vivre en bonne santé,
Sept jours de la semaine,
Prenez de bon Caffé,
Il vous préservera de toute maladie,
Sa vertu chassera, là, là,
Migraine et fluxion, don don,
Rhume et mélancholie.

II.

Sa force est sans égale
Contre les maux de coeur,
La glande pinéale
Y trouve sa vigueur :
Quand on y met du lait, il guérit la poitrine,
Au sang il donnera, là, là,
La circulation, don ,don,
Dans toute la machine.

III.

Ses petits corpuscules
Tiennent lieu de Tabac,
Et mieux que les Pilules
Confortent l'Estomach ;
Les peccantes humeurs par-là sont adoucies,
Et l'on ne sentira, là, là,
Nulle indigestion, don don,
Nulles acrimonies.

IV.

Son aimable fumée
Est favorable aux yeux,
Quand elle est respirée,
C'est un baume pour eux ;
Ce doux fumet qui monte en forme de nuage,
Vous développera, la là,
L'imagination, don don,
Pour faire un bel Ouvrage.

V.

De la Philosophie,
Malebranche le Héros,
Avec cette ambroisie
Ranime tous ses os.
Quand sa santé va mal, ce sublime génie,
De ce remède là, là là,
Sans consulter Purgon, don don,
Va rechercher la vie.

VI.

Il ouvre les idées
Aux plus sçavants Auteurs,
Et fournit des pensées
Aux grands Prédicateurs,
Les fibres du cerveau par lui sont réveillées,
Et la mémoire en a, là, là,
Les traces d'un sermon, don don,
Beaucoup mieux imprimées.

VII.

Voulez vous dans l'Eglise
Ne rien perdre au Sermon,
D'une éloquence exquise,
Goûter l'expression,
Vous devez vous munir, surtout l'après-dînée,
De celle boisson là, là, là,
Votre application, don don,
Sera moins détournée.

VIII.

Dès qu'un Reverend Pere
Pour prêcher est entré,
Dans chaque Monastère,
Il lui faut du Caffé,
On passe dans le Tour le petit équipage,
Cette pratique là, là la,
Sans opposition, don, don,
Est partout en usage.
IX.

Veut-on à l'audience
Ne s'endormir jamais,
Veut-on avec aisance
Rapporter un procès,
Prononcer un discours, faire quelque lecture,
Usez pour tout cela, là, là,
De l'utile boisson, don don,
Sa force est toujours sûre.

X.

Malgré la bonne chère,
Le convive est chagrin
Si notre Caffetiere
Ne finit le festin,
Dès qu'on la voit entrer, la joye est redoublée,
Chacun se dit voilà, là, là.
De ce repas si bon, don, don,
La fête couronnée.

XI.

Un ami vous visite,
Offrez lui du Caffé,
La dépense est petite,
Il se tient regalé,
Du goblet sortira quelqu'aimable nouvelle,
On politiquera, là, là,
La conversation, don don,
En sera bien plus belle.

XII.

Si dans une reprise
Quelqu'un perd son argent,
Donnez lui quelque prise
D'un Caffé restaurant,
Il se consolera de sa perte sans peine.
Son chagrin tombera, là là,
Se noyant dans le fond, don don,
De votre porcelaine.

XIII.

Le Caffé gros et pasle
N'est jamais le meilleur,
Le petit est plus masle,
Il a de la verdeur :
Allez, au Verd-Galand, il en a pleine tonne,
Quoique ce Marchand, là, là là,
Ait VILAIN pour son nom, don don,
Sa marchandise est bonne.

XIV.

Quand vous brûlez la fève,
Allez tout doucement,
N'en ôtez pas la sève
Par un feu trop ardent,
Sans cesse tournez-là dans votre casserole,
Par ce mouvement là, là là,
D'une bonne façon, don don,
Le Caffé se rissole.

XV.

Tout comme une omelette,
Estant bien retourné,
Entre double serviette,
Il doit être étallé,
Sur ce lit de repos, il mitonne et vépure :
Par cette sueur là, là là,
Son opération, don don,
En sera bien plus sure.

XVI.

Quand vous en voulez prendre,
Ayez un bon moulin,
Qui puisse vous le rendre
Broyé tout le plus fin,
N'allez pas éventer cette chère farine,
Mais d'abord jettez là, là, là,
Dans le premier boüillon, don, don,
De l'eau qu'on vous destine,
XVII.

Voulez vous qu'il opère
En vous heureusement,
Dans votre Caffetiere,
Mettez-le largement,
Pour chasser vos vapeurs, faites bonne mesure
A quoi vous servira, là, là,
La triste portion, don don,
D'un Caffé de teinture.

XVIII.

Quand cette aimable prise
A trois fois boüillonné,
Et qu'à triple reprise
Le Marc s'est élevé,
Laissez la reposer sans nulle impatience,
Car qui la troublera, là là,
De son infusion, don don,
Perdra la recompense.

XIX.

La main ferme et prudente
Doit seule le verser,
Et toute main tremblante
Ne doit point s'en mêler.
Inclinez bien le bec de votre Caffetiere,
Et rien ne tombera, là là,
Qui ne soit pur et bon, don don
Et propre à vous refaire.

XX.

Pendant qu'il se repose
Sur voir cabaret,
De la meilleure dose
Choisissez un goblet,
Je vous dis un goblet et non tasse évasée,
La fumée en sera, la là,
Par sa réunion, don, don,
Beaucoup mieux dirigée.

XXI.

La Liqueur préparée
Dégenere en fadeur,
Quand elle est trop sucrée,
Elle perd sa vigueur.
La changer en sirop, c'est être Apothicaire,
Et son amertume a, là, là,
Certaine impression, don don
Qui vous est nécessaire.

XXII.

De la Liqueur fumante
Menagez la chaleur,
Elle est moins agissante
Quand elle a moins d'ardeur ;
N'attendez donc jamais qu'elle soit amortie :
Car cette boisson là, là là,
Perd ce qu'elle a de bon, don, don,
Quand elle est refroidie.

XXIII.

Prenez ce doux breuvage
Sanns trop d'empressement.
Assis en homme sage
Humez-le lentement,
Sa respiration communique la vie.
Elle reveillera, là là,
Toute la région, don, don,
D'une tête assoupie.

XXIV.

N'allez point par ménage
Faire un second Caffé,
Ce serait un lavage
D'un mauvais ripopé,
Si vous voulez avoir les dents propres et pures,
Le marc les blanchira, là la,
Son application, don don,
En ôte les ordures.


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