Anonyme
(XVIIe s.)

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Les différents des chapons et des coqs touchant l’alliance des poules avec la conclusion d’yceux
Suivant la copie, à Paris, chez Pierre Chevalier au Mont-Sainct Hilaire, en la cour d’Albret [ca1610]
A Berne : Chez l’Orso, [Bruxelles : Gay & Doucé, 1880].- 11 p. ; 12 cm.

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Jadis, quand les bestes parloient, les unes se contentoient de leur sexe, et les autres, se faschoient des retranchements du leur. Les Chapons, à quy de jeunesse on avoit coupé la crette, soit ou pour rendre leur voix plus fine et delicatte, ou pour les rendre plus seurs gardiens des poulles, poussez de quelque reste de leur premice nature, ou sollicitez des imitations des Coqs, voulurent faire alliance avec les Poulles ; mais, comme ordinairement nous sommes plustost conduits, de l’œil de nostre contentement que de celuy de nostre proffit, les Poulles, qui les voyoient sans crette, faisant fort peu d'estime de leurs belles plumes, ne vouloient de leur association. Les unes, plus scrupuleuses des tesmoings (1) à leur alliance ; les autres, moins subtilisées, se contentoient de la parade ; toutefois le temps, quy nous faict desdaigner une mesme viande et apprendre des nouvelles fausses, faict souvent naistre des repentirs à celles quy ne voyoient point croistre la creste à leur allié, et que veritablement et d’effect elles mangoient du poisson sans sauce. Ce repentir engendre des regrets, ces regrets engendrent dess plaintes, et ces plaintes engendrent des controverses.

Mais, comme elles en estoient en les ces termes, les Chapons eurent quelque divorce avec les Coqs, touchant la primauté. Les Coqs, fondez en bonnes raisons, demandoient la preeminence, et less Chapons, orgueilliz de quelque vanité, ne vouloient estre seconds qu'à eux-mesmes. Il vindrent premierement aux reproches, et puis aux coups ; mais les Coqs, comme en mespris des Chapons faisoient monstre de leurs crestes,, disant que cela leur devoit faire bonne honte et peur tout ensemble. Les Chapons, se sentant chatouillez de si près, commencèrent à drapper les Coqs, disant que ce qu'ils jugeaient l'ornement de leurs testes estoit la defformité de leur sexe, et qu'on leur en avoit faict une synderèze (2) pour embellir cette laideur, et qu ils en estoient mieux venuz auprès des Poulles, leurs becs estans moins rudes. Les Coqs, en contr'echange, les voulant toucher au vif, amenèrent les Poulles en tesmoignage pour decider cette querelle. Les plus novices remirent cela au conseil des plus experimentées, tant pour s'instruire de chose qu'importe leur felicité que pour n’estre deceues à l'election de l'un eu l'autre party.

Les Coqs, resolus à leur accusation, et les Chapons à leurs defences, receurent volontairement les Poulles pour arbitre de leur cause. Les Chapons en avoient une pour leur advocate quy avoit assez de babie, mais trop peu de constance pour maintenir leur cause bonne ; les coqs en avoient une quy alleguoit tant d’experience pour preuve qu'elle confondoit les bastardes raisons des Chapons, disant qu'elle aimeroit autant estre associée à une Poulle, que ses beccades auroient autant de suc, et que, la creste leur manquant, ils avoient quelque autre chose de manque quy servoit de joyau à la feste, et qu elle estoit deliberée, selon sa coustume, de couver au moins une fois l’an, et qu’elle vouloit un Coq ,quy put servir de targue (3) à ses poussins et resister aux ruyneuses escarmouches du mylan ; et qu'elles avoient prins telle habitude d'estre esveillées trois fois la nuicts des chants de son Coq, qu'à peine pourroit-elle dormir si ou sept nuicts entières auprès d'un Chapon quy ne chantoit que peu souvent, encore avec si peu d’harmonie qu'il donnoit plustot de la fascherie que du contentement ; et que le matin le Coq relevoit sa creste comme plein de courage et d’envie de continuer tel resveil, où le Chapon, les aisles baissées, tesmoingnoit sa pusillanimité ; enfin, que les Chapons ne sont bons qu'à commencer une alliance où les Coqs la peuvent achever par effect.

L'advocate des Chapons alleguoit quelques subterfuges, non tant pour preuve de sa cause que pour preuve de sa suffisance. Toutes ces echappatoires ne peuvent renverser le droict des Coqs, car elle-mesme, rangée à la raison, tourne sa casaque, et, recognoissant l'injustice, les invite à quelque appointement par des propos desguysez, desquels elle en sçavoit assez. Si les Chapons ne chantoyent que peu souvent, cela leur apportait du repos, et que, les Coqs, au contraire, par mauvaise habitude, inquietoyent leur tranquillité, et que c’estoit des allarmes plus convenables à la guerre qu'en la paix ; et si le matin ils n'estoyent si rodomonds, cela tesmoingnoit leur bonté naturelle de ne faire aux poulles non plus que les poulles à eux, et que, si elles ne couvoyent, qu’elles n’estoyent assujetties aussy de chercher la nourriture à une suite de poulets quy leur rongnoient les ongles de si près qu'à peine pouvoient-elles gratter, et outre tout cela, n'en faisant point esclore , elles n'en voyoient point ravir.

Ces discours avoient quelque apparence d’aimer les Chapons ; mais, quant à l'intention, elle passoit au party des Coqs. Comme, à la vérité, elle sçavoit bien que les resveils des Coqs ne se faisoyent qu'à leur advantage et pour les faire aprèsdormir de meilleur courage, et qu'elles ne pouvoyent couver qu'elles ne receussent pour une heure de mal un siècle de contentement, et qu'après un certain temps les poulets cherchoyent leur vie eux-mesmes, puis leur en faisoient part, que cela leur apportera plus de commodité que de fascherie ; au reste, que telles allarmes n’estoyent jamais sanglantes ; que la guerre en estoit plus desirable, pour estre plus tost d’amytié que de hayne.

Tout enfin debatu, les Coqs payent les espices, et les Chapons condamnez par arretz incapables de l'alliance des poulles ; et si quelqu'un trop outrecuidement les acostoit, qu'il faudroit qu'il amenast deux tesmoings au jeu quy fussent valables et suffisants, voire d'aage competant ; que les poulles ny les poulets n'y seroyent pas receuz pour juges, ains seullement les Coqs les plus experimentés ; et si quelqu'un se laisse corrompre par grain ou autre moyen, seroit condamné à une amende arbitraire.

Les Chapons, quy avoyent jusqu'icy fait la morgue aux Coqs, cognoissant qu’à faute de crestes ils avoient l’air ridez et presque endurciz de vieillesse , ne servoyent plus que de Jocriz (4), tant à taster qu'à mener les poulles pisser ; ils regrettent leur jeunesse, quy couvroit aucunement leur perte, disant : C'est donc à ce coup que nous serons le jouet du monde et que les Coqs se feront gloire de nostre honte ! Helas ! falloit-il estre banniz en temps de nostre prospérité, et la fortune nous devoit- elle eslever au sommet de sa roue pour après nous rabattre à ses pieds ! Le ciel nous devoit-il donner tant de piaffe pour nous faire recevoir un tel affront ! Avoit-il permis nostre advancement pour rechercher nostre ruine ? Nous avoit-il embelli de plumage pour estre si peu desirables ? Hela ! creste, quel tort t’avons-nous faict, pour nous pourchasser ce blasme ? Malheureuses sont les mains quy sont cause de ce defaut ! Quel proffit recevons-nous d'une voix desliée, puisqu'elle est plustost cause de nostre exil que de nostre réception ? Quy prendrons-nous pour tesmoings, puisque les crestes nous les refusent ? Et combien que nous n'ayons faict une longue alliance, si nous ne monstrons deux tesmoings, ou du moins un quy ait de la creance ; et si nous savons mal usé de la jeunesse, elle sera relevée à nostre dommage et confusion. Que ne pouvons-nous emprunter une creste de ces Coqs quy en ont de surplus ! Mais, bien qu'ils soient tant affreux en nostre endroit, nous ne nous en pourrons servir, non plus qu'ils peuvent s'en passer ; au moins, creste, ne nous rends pas si ridez, afin que, cachant ta synderèse, nous soyons admis au moins pour quelque temps à l'association des poulles.

Bienheureux sont les coqs, les chapons malheureux.
Les chapons font l'amour, les coqs ont la puissance.
Mais pourquoy n’ont-ils pas aussy bien la puissance
De prendre sur autruy ce qu'on vient prendre d'eux ?


NOTES :
(1) De petits témoins, sans doute, testiculi.
(2) Ce mot de la langue dévote qui signifie reproche secret, remords de conscience, est ici singulièrement placé. Regnier, satire 13, v. 22, s’en est servi ; Regnard aussi, dans le Joueur, acte 5, scène 4, mais tous deux de manière à faire voir qu’ils en comprenoient le sens.
(3) Pour targe, égide, bouclier.
(4) Jocrisse et ses attributions datent de loin, comme on voit. Chez les Romains, le type de niaiserie auquel il a succédé et qu’il remplace chez nous avoit pour fonction un peu plus noble celle de traire les poules. Si, lisons-nous dans le Satyricon, lac gallinaceum quaesierit, invenict. Pour le nom de Jocrisse, nous n’accepteront pas la mauvaise étymologie donnée par le Ducatiana, t. 2, p. 509 ; nous admettront plutôt, avec le Monde primitif de Court de Gébelin, qui certes n’étoit guère attendu en cette affaire, que ce mot est un diminutif de l’italien zugo ; ou bien nous y retrouverons encore volontiers une altération transparente du Joquesus du moyen âge, dont Coquillart a parlé dans son Monologue des perruques. Ce qui est plus certain, c’est que, dès le commencement du XVIIe siècle, Jocrisse étoit populaire comme type du valet niais, du garçon de ferme stupide. Il figure comme tel dans le Ballet des Quolibets, dansé au Louvre et à la maison de ville par Monseigneur, frère du Roy, le quatriesme janvier 1627, composé par le sieur de Sigongnes, Paris, Augustin Courbé et Antoine de Sommaville, 1627, in-8°. « C’est, est-il dit dans une note du Catalogue Soleinne sur ce ballet, t. 3, p. 91, n°3265, la première apparition de ce type de naïveté. » Ce qui n’est pas tout à fait vrai : deux ans auparavant, Jocrisse avoit déjà paru, et dans une occasion pareille. Il est un des personnages dansants et chantants du Ballet des Fées des forêts de Saint-Germain, que le roi dansa le 11 février 1625. Molière a nommé deux fois Jocrisse : dans Sganarelle, sc. 16, et dans les Femmes savantes, act. 5, sc. 4. Richer, au liv. 4 de son Ovide bouffon, l’a mis, comme dans sa place naturelle, parmi les porchers, vachers et bergers, et Furetière, parlant à un maître sot dans son Epître à Cliton.

FIN


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