Charles Dumercy
(1848-1934)

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Paradoxes judiciaires
(1899)


A Monsieur
CHARLES DUMERCY,
Avocat à Anvers.

Mon cher Confrère
et Ami,

Mon long silence a dû vous surprendre. Il m'a tourmenté, et je vous assure que, si vous l'avez interprété en mal, vous vous êtes grandement trompé ; je vous ai dit, lorsque vous m'avez demandé une préface pour le Recueil de vos Paradoxes judiciaires, combien j'étais touché de ce témoignage d'affectueuse sympathie. Restait à trouver une préface sortable. J'avaisprésente à la mémoire l'impression que vos Paradoxes judiciaires, lus au courant de leur apparition dans nos journaux, m'avait faite, et je me figurais le Recueil comme un joli monument sur lequel la préface aurait l'aspect d'une petite affiche au bas d'une tour. Votre manuscrit est venu me dérouter: 50 paradoxes seulement ! J'y retrouvais tous les mérites dont j'avais conservé le souvenir : l'originalité de la forme, l'imprévu et la profondeur de le pensée ; mais 50 seulement ! Je n'apercevais plus la muraille où placer la petite affiche. Il me semblait que, pour former ce monument dont j'avais eu la vision, ils étaient au moins 200. Ils auraient donc, à 50, fait l'effet de 200, et il en serait de ce nombre de 50 comme du nombre des vers d'un sonnet bien tourné. Arvers, l'auteur de l'immortel sonnet à Mme Victor Hugo, doit à ce seul sonnet toute sa  gloire littéraire ; il n'a pas pu en faire la matière d'un volume, et sa gloire 'n'en a pas souffert. Devez-vous former, des 50 de votre manuscrit, le Recueil de vos Paradoxes judiciaires ? Pourquoi, avec le talent dont ils témoignent, n'en pas faire davantage ? C'est la question qu'on se posera, et l'on dira que 50, pour un Recueil de maximes, c'est peu comme nombre. Cette question et lesouci que j'ai de votre renom, si bien établi, d'esprit charmant et fécond et de penseur puissant vous expliqueront, par les réflexions auxquelles ils m'ont conduit, mon long silence. Je me fais diffcilement à l'idée que les 50 paradoxes de votre manuscrit soient les seuls que j'aie vus passer, à l'état de feux-follets, sans les compter. Si, pour ne rassembler dans un Recueil que ceux que vous jugez les meilleurs, votre modestie en a écarté 150, il faut les reprendre. Si, réellement, vous n'en avez que 50 de sertis, il faut vous mettre à l'ouvrage et arrondir le nombre. Je parle de 200 ; mais je ne cite ce chiffre que pour exprimer une impression éprouvée, une illusion d'optique, si vous voulez, qui me fait songer aux feux follets, mais qui provient de très hauts mérites. Réunis dans un Recueil, vos Paradoxes judiciaires seront comptés, en même temps que jugés, et il y aura, à côté de la question du mérite, une question de nombre, et le nombre de 50 paraîtra trop minime.

Voilà, mon cher Confrère et Ami, comment le numérotage des paradoxes de votre manuscrit est venu obscurcir la vision du monument que mon vœu est de vous voir construire en publiant un Recueil de vos Paradoxes judiciaires. Est-ce moi qui me trompe ? S'il en est ainsi, dites-le-moi ; car je reste à votre disposition pour la préface et

Tout à vous,
JULES LE JEUNE

Münsbach (Grand-Duché de Luxembourg)
19 Août 1898.


~*~

I.
La conciliation est l'hypocrisie de la justice.

II.
Les motifs sont toujours des prétextes.

III.
La prison est, non pas un purgatoire, mais un enfer.

IV.
La société n'existe que pour sa liquidation.

V.
L'indulgence est la fille du mépris.

VI.
Pour les femmes, inventer est synonyme de mentir.

VII.
On n'a pas longtemps peur de la même chose.

VIII.
Il est aussi impossible de concevoir le concours de deux volontés que l'identité de deux visages.

IX.
L'instinct est une aile, la raison est une chaussure.

X.
Quand on a promis tout, stipulez encore le reste.

XI.
Il y a toujours de la poussière devant les troupes et de la boue derrière les troupeaux.

XII.
Toute fonction finit par devenir un métier, tout métier finit par devenir une prostitution.

XIII.
Il y a plus de dédain dans l'humilité que dans l'orgueil.

XIV.
L'ordre public est un hamac dans lequel il est permis de se balancer, mais sur lequel il est défendu de s'asseoir.

XV.
L'avocat est le costumier de la vérité.

XVI.
Quand on n'a qu'une parole, on ne la donne pas.

XVII.
La justice est l'art d'accomoder les restes.

XVIII.
Les règles de la confraternité ressemblent à celles de l'escrime.

XIX.
La conscience est un avocat plaidant et non pas un avocat consultant.

XX.
Au lieu d'un bandeau, la justice devrait porter des lunettes.

XXI.
L'équité est la veuve du droit.

XXII.
Il faut deux générations pour faire un magistrat.

XXIII.
La loi est une échelle à la fois trop courte et trop pesante.

XXIV.
Le droit et le commerce ne parleront jamais la même langue.

XXV.
La verité est masquée parce qu'elle est laide.

XXVI.
La magistrature et le barreau ont contracté un mariage de raison.

XXVII.
Une personne civile est un corps sans âme.

XXVIII.
Un aveu n'est jamais libre.

XXIX.
La justice et la charité sont deux soeurs ennemies.

XXX.
Je saluerai la bonne foi quand j'aurai eu l'honneur de lui être présenté.

XXXI.
Il y a tant de coquins inconscients que je me demande si je n'en suis pas un.

XXXII.
La défiance est l'âme de la justice.

XXXIII.
L'avocat n'est dangereux que lorsqu'il a faim.

XXXIV.
Gouverner c'est mentir.

XXXV.
L'avocat a trois ennemis intimes : le magistrat, le confrère et le client.

XXXVI.
Le secret est la puissance des ténèbres.

XXXVII.
Les avocats médiocres pèchent à la fois par excès de zèle et par défaut de dévouement.

XXXVIII.
La jurisprudence est l'ornière du droit.

XXXIX.
Ne plaidez jamais ni pour un ami ni contre un ennemi.

XL.
On ne connaît l'avocat que par les indiscrétions du client.

XLI.
Tant que les juges ne seront point parfaits, il y aura autant d'erreurs judiciaires que de jugements.

XLII.
Plus la justice deviendra bonne, plus les procès deviendront nombreux.

XLIII.
Le paradoxe est la jeunesse de la vérité.

XLIV.
Juger, c'est deviner.

XLV.
Le bonheur est une mosaïque composée de petits morceaux.

XLVI.
J'aime mieux l'esclavage que la domesticité.

XLVII.
La calomnie est l'engrais de la gloire.

XLVIII.
On ne parle pas avantageusement des biens à vendre et des filles à marier.

XLIX.
La fidélité est un rêve de la jalousie.

L.
Dans la vie, il n'y a de sérieux que la mort.



Table alphabétique
DES 
PARADOXES
JUDICIAIRES 

A

Accommoder, XVII.
Aile, IX.
Aimer, XLVI.
Ame, XXVII, XXXII.
Ami, XXXIX.
Art, XVII.
Asseoir (S'), XIV.
Aveu, XXVIII.
Avocats, XV, XIX, XXXIII, XXXV, XXXVII, XL.

B

Balancer (Se), XIV.
Bandeau, XX.
Barreau, XXVI.
Biens, XLVIII.
Bonheur, XLV.
Boue, XI.

C

Calomnie, XLVII.
Charité, XXI.
Chaussure,IX.
Chose, VII.
Client, XXXV, XL.
Commerce, XXIV.
Concevoir, VIII.
Conciliation, I.
Concours, VIII.
Confraternité, XVIII.
Confrère, XXXV.
Connaître, XL.
Conscience, XIX.
Contracter, XXVI
Coquins, XXXI.
Corps, XXVII.
Costumier, XV.

D

Dédain, XIII.
Défaut, XXXVII.
Défiance, XXII.
Demander (Se), XXXI.
Devenir, XLII.
Deviner, XLIV.
Dévouement, XXXVII.
Domesticité, XLVI.
Donner, XVI.
Droit, XXI, XXIV, XXXVIII.

E

Echelle, XXIII.
Enfer, III.
Engrais, XLVII.
Ennemis,XXXV, XXXIX.
Equité, XXI.
Erreurs judiciaires, XLI.
Esclavage, XLVI.
Escrime, XVIII.
Excès, XXXVII.
Exister, IV.

F

Faim, XXXIII.
Faire, XXII.
Femmes, VI.
Fidélité, XLIX.
Fille, V.
Filles, XLVIII.
Finir, XII.
Foi (Bonne), XXX.
Fonction, XII.

G

Générations, XXII.
Gloire, XLVII
Gouverner, XXXIV.

H

Hamac, XIV.
Honneur, XXX.
Humilité, XIII.
Hypocrisie, I.

I

Identité, VIII.
Indiscrétions, XL.
Indulgence, V.
Instinct, IX.
Inventer, VI.

J
Jalousie, XLIX.
Jeunesse, XKIII.
Jugements, XLI.
Juger, XLIV.
Juges, XLI.
Jurisprudence, XXXVIII.
Justice, I, XVII, XX, XXIX, XXXII, XLII.

L

Langue, XXIV.
Liquidation, IV.
Loi, XXIII.
Lunettes, XX.

M

Magistrat, XXII, XXXV.
Magistrature, XXVI.
Mariage, XXVI.
Marier, XLVIII.
Mentir, VI,XXXIV.
Mépris, V.
Métier, XII.
Morceaux, XLV.
Mort, L.
Mosaïque, XLV.
Motifs, II.

O

Ordre public, XIV.
Orgueil, XIII.
Ornière, XXXVIII.

P

Paradoxe, XLIII.
Parler, XXIV, XLVIII.
Parole, XVI.
Pécher, XXXVII.
Personne civile, XXVII.
Peur, VII.
Plaider, XXXIX.
Porter, XX.
Poussière, XI.
Prétextes, II.
Prison, III.
Procès, XLII.
Promettre, X.
Prostitution, XII.
Puissance, XXXVI.
Purgatoire, III.

R

Raison, IX, XXVI.
Règles, XVIII.
Ressembler, XVIII.
Reste, X.
Restes, XVII.
Rêve, XLIX.

S

Saluer, XXX.
Secret, XXXVI.
Société, IV.
Sœurs, XXIX.
Stipuler, X.

T

Ténèbres, XXXVI.
Troupeaux, XI.
Troupes, XI.

V

Vendre, XLVIII.
Vérité, XV, XXV, XLIII.
Veuve, XXI.
Vie, L.
Visages, VIII.
Volontés, VIII.

Z

Zèle, XXXVII.

(texte non relu après saisie, 26.VII.07)

Couverture des Blasphèmes judiciaires (1899)


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