Anonyme

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LES
ENTRETIENS AMOUREUX
D’UN JEUSNE MEUSNIER
DE VAUGIRARD
AVEC LA VEUFVE D’UN PATISSIER
DU MESME VILLAGE

(1649)

LE MEUSNIER

Je vous souhaitte le bon-jour, ma commere la patissiere.

LA PATISSIERE

Bon-jour, mon compere le meusnier.

LE MEUSNIER

Je ne voudrois pas pour grand’chose n’avoir eu l’honneur de vous rencontrer aujourd’huy.

LA PATISSIERE

C’est bien moy qui le reçois.

LE MEUSNIER

Vous vous estes toujours bien portée, ma commere, depuis que je n’ay eu l’honneur de vous voir ?

LA PATISSIERE

Fort bien, Dieu mercy à vous.

LE MEUSNIER

J’en suis resjoui, loué soit Dieu ; mais dites-moy, de grâce, ma commere, la mort de deffunct vostre mary, le compere, ne vous semble-t-elle point fascheuse ?

LA PATISSIERE

Cela ne se doit point demander ; il faudroit estre pire que Turc pour n’en point avoir de ressentiment, veu que c’estoit un si bon homme.

LE MEUSNIER

Vous avez bien raison, ma commere, c’estoit un fort honneste homme, bien paisible, bien craignant Dieu, qui estoit prest à faire plaisir à tout le monde ; c’est un homme bien regretté, il estoit bien aimé d’un chacun. O bien, tout ce que je vous puis dire, c’est de prier Dieu qu’il veuille avoir sa pauvre ame.

LA PATISSIERE

Je le souhaitte ainsi.

LE MEUSNIER

Ma chere commere, si j’osois, je vous parlerois de quelque chose particulière.

LA PATISSIERE

Vous pouvez le faire librement, je ne suis pas une personne inconnue et estrangere.

LE MEUSNIER

Je le sçais bien, ma commere, mais je ne laisse pas pourtant d’avoir quelque crainte ; neantmoins, puisque vous le permettez, je le feray sans vous en rien céler : c’en en bon François que je suis amoureux de vous.

LA PATISSIERE

Vrayment, Samon, nous voilà bien chanceux, nos chiens nous guettent, vous vous mocquez bien de nous.

LE MEUSNIER

Par sainct Friant, je ne me mocque point de vous, je n’ay point de vostre argent, vous sçavez bien qui je suis, d’où je suis ; bien que je n’aye pas les qualitez esgalles à celles de feu vostre mary, si est-ce pourtant que je ne veux pas avoir moins d’amour pour vous.

LA PATISSIERE

Vrayment, vous nous parlez d’une chose qui n’est pas encore preste, ce n’est pas à quoy je songe, j’ay bien d’autres choses en l’esprit que cela.

LE MEUSNIER

Je crois bien que la chose n’est pas encore preste, mais avec le temps elle s’apprestera ; rien n’est fait qu’avec le temps, et puis il faut se connoistre encore plus particulierement.

LA PATISSIERE

Est-il possible que vous ayez en la pensée de vous vouloir marier ?

LE MEUSNIER

Pourquoy non, qui en empesche ? Ne suis-je pas en aage ?

LA PATISSIERE

Samon, ma foy, si l’on vous tordoit le nez il en sortiroit encore du laict. Qui est la femme qui voudroit de vous ? Elle auroit un bel honneur d’avoir espousé un larron.

LE MEUSNIER
C’est une qualité qu’on donne à tous ceux de nostre mestier, bien que nous soyons aussi honnestes gens que les autres.

LA PATISSIERE

 Il est vray que je n’ay pas en la pensée de me marier, mais si je croyois que vous deussiez estre aussi honneste homme que deffunct mon mary, j’y songerois.

LE MEUSNIER

Aux effects vous le pourrez cognoistre.

LA PATISSIERE

Quels effects m’en pourriez-vous faire parroistre ?

LE MEUSNIER

Si j’osois je vous le dirois, mais je vous dis encore une fois qu’avec le temps vous le connoistrez.

LA PATISSIERE

Si cela est nous pourrions bien bien faire quelque chose, un honneste homme n’a que sa parole.

LE MEUSNIER

 Ma commere, je crois que vous serez satisfaicte et contente de moy ; cependant en parlant d’affaires, je serois bien aise d’aller prendre un doigt de vin chez vous.

LA PATISSIERE

Allons, mon compere, et nous parlerons d’affaires.


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