Anonyme

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Histoire
espouvantable
et
veritable
arrivee en la ville
de Soliers en Provence.

D'un homme qui s'estoit voué pour estre d'Eglise,
& qui n'ayant accompli son voeu, le Diable luy a couppé les parties
honteuses, et couppé encores la gorge à une petite fille aagée de deux ans ou environs.

A Paris
Chez Nicolas Alexandre, demeurant rue Saint-Estienne des Grecs
MDCXIX

Meurtres horribles et espouvantables arrivez en la ville de Soliers en Provence

VOICY une estrange Histoire, elle est non moins espouvantable que veritable. Ce ne sont point de contes faits à plaisir, & qu'on imprime ordinairement pour abrever les oreilles de quelque nouvelle inventée. Les lieux, les personnes, & le temps, & l'arrest donné en une souveraine Cour de Parlement, avec autres circonstances que j'en donneray, vous feront voir la vérité de mon dire, & le jugement de Dieu que l'on ne sçauroit sonder, & la permission que quelquefois il donne au Diable, qui ne sçauroit vaincre nostre ame, sans l'avoir premerement tentée. Car (comme dit une grande lumiere de l'Eglise) nous ne sçaurions jamais estre surmontez de cet ennemy commun de l'homme, que premierement nous ne nous laissions emporter à la mode des pourceaux, à nos convoitises charnelles. Mais il est temps que je vous face le recit de ce que je vous ay promis.

Il y a en Provence un village qu'on nomme Soliers, entre Brignole, & une autre petite ville qu'on appelle Le Luc. Dans ce village est encores une famille que l'on surnomme de Meissonniers, des plus riches & des plus aisez de ce village. De céte race vivoient il n'y a pas encore quelques mois deux freres : l'aisné desquels est marié, & fait profession de la pretenduë reformée. Le plus jeune estoit Catholique, & avoit faict veu d'estre d'Eglise. Mais ce fut un voeu de paille, qui fut consommé si-tost que son ardeur inconsiderée eut passé. Il oublia bien-tost ce qui nous est enseigné dans la Saincte Escriture, à sçavoir : Quand tu auras fait voeu au Seigneur ton Dieu, tu ne tarderas point de le rendre : car si tu tardes, cela te sea imputé à peché. Tant y a que ce jeune Meissonnier qui faisoit profession de la Religion Catholique, & qui avoit fait voeu de chasteté comme il vivoit avec son frere qui estoit de contraire religion, disputoit souvent avec luy, des matieres de la Foy. Mais ce Frere aisné qui estoit mieux versé, sans doute, que luy en l'Escriture, sçeut peu à peu si bien prescher le Cadet, que par le moyen encores d'un Ministre qui presche au Luc, il l'esbranla en sa foy & le fit entrer en doubte de sa croyance.

Je n'ay pas icy entrepris de vous inserer leur dispute, ains de vous reciter un cas estrange, & inoüy, s'il en fut jamais au monde. Quand l'aisné Meissonnier eut gaigné ce poinct de faire entrer en doubte de sa foy son Cadet, il le poursuit apres de telle sorte, qu'asisté du Ministre du Luc, ils luy firent abjurer la Religion Catholique Romaine , & prendre celle que l'on presche à Geneve.

Le voila doncques Huguenot, & si ferme en sa nouvelle Religion, qu'on le fait du Consistoire au Luc, où le plus souvent il demeure. Durant qu'il est en cette ville, où le Presche se fait ainsi que nous avons desja dit, il jette les yeux sur une jeune Huguenotte, dont il devient extrémement amoureux. Ce Meissonnier estoit jeune, & avoit honnestement des moyens, & au reste un grand credit parmy ceux de sa Religion, de sorte que cette jeune Fille le vit aussi de bon oeil. Leurs amours durerent quelque temps, & en fin ce nouveau Huguenot ne se resouvenant plus de ce qu'il avoit sainctement voüé, parla à elle de mariage, & leur conclusion fut qu'il communiqueroit son dessein à son Frere aisné, & puis la feroit demander à son Pere.

Meissonnier le jeune s'achemina doncques au village de Soliers, où il treuva son Frere dans maison. Apres qu'ils eurent fait bonne chere, il luy fit sçavoir son intention, & comme il aymoit & estoit  ayme parfaictement d'une fille qu'il avoit resolu d'espouser ; mais auparavant il avoit voulu luy communiquer ce dessein, y estant obligé, puisqu'il estoit son Cadet. Son Frere aisné receut un extreme contentement de cette nouvelle : Car encores qu'ils eust peu esperer, ou pour luy, ou pour ses enfans, le bien de son Frere, en cas qu'il ne se fust point marié, toutesfois le desir qu'il avoit que son Cadet perseverast en la nouvelle Religion, qu'il venoit d'embrasser, qu'il preferoit [illisible] ce contentement à tous les biens du monde. C'est pourquoy pour l'animer davantage à se marier, il luy remonstra comme Dieu avoit crée le masle & la femelle pour la propagation de l'humain lignage, & que comme apprend l'Apostre, il faut que tous ceux qui n'ont pas le don de continence se marient. Il luy allegua plusieurs autres raisons qu'il n'est pas besoin de reciter, & dont ces Messieurs ne manquent pas, comme ceux qui ont ordinairement la Bible entre les mains.

Les deux Freres en devindrent doncques jusques-là que l'Aisné s'achemina le lendemain au Luc, & parla au Pere de la Fille qui ne rejetta ceste recherche. Il pria seulement Meissonnier de luy donner trois jours de delay, pour penser à cette affaire, & pour la communiquer à sa femme & à sa Fille. Et avec ceste response l'Aisné Meissonnier revint à Soliers, & recita à son Frere comme il avoit procendé envers le Pere de la Fille.

Pendant les trois jours le Pere communiqua à sa femme la recherche de Meissonnier le jeune, & luy sçeut si bien representer le bon naturel, les moyens & la race de cet homme, que la Mere creut que sa Fille ne serait que trop heureuse en l'espousant. Ils la firent donc venir, & apres que son Pere luy eut remonstré l'obeïssance qu'elle luy devoit, par beaucoup de passages de la saincte Ecriture, dont il estoit bien fourny, comme celuy qui estoit Diacre en ceste nouvelle Eglise du Luc, elle qui aymoit desja Meissonnier, & qui luy avoit juré une affection mutuelle, respondit à son Pere que n'ayant point d'autre volonté que la sienne, il n'estoit besoing de luy prescher l'obeïssance qu'elle luy devoit, & dont jamais enne ne s'esloigneroit : de sorte que voila doncques les parties si bien d'accord, que contract de mariage se passe, & et les fiançailles se font, au contentement de tous.

Il semble que ceste alliance est toute pleine de roses & de fleurs mais voicy de poignantes espines, & de terribles & espouventables jugemens de Dieu. Car lors que les bans furent finis, & qu'ils eurent pris jour pour espouser à Soliers dans la [illisible] maison de l'Aisné Meissonnier.

L'on prepare donc les Nopces fort somptueusement un Dimanche du mois de Novembre dernier, & l'on n'y oublie rien de tout ce qui se peut desirer en festin. Les delices du pays sont si grandes & la fertilité telle que l'on peut dire à bon droit que la Provence est le verger delicieux de ce Royaume, voire de toute l'Europe.

Comme tous ceux de la maison sont empeschez à preparer un festin si solennel, & que desja la fiancée est en chemin pour venir espouser son Accordé, il est aussi au logis de son Frere, ou il attend l'heure qui le fera si heureux, que de le rendre jouissant de sa Maistresse. Las pauvre mal heureux & infortuné, si tu sçavois ce qui te doit succeder en ces nopces, tu ne les eusse jamais desirées. Or ainsi que chacun du logis estoit empesché, qui en une chose & qui en une autre, le fiancé monta en une chambre de la maison, ou son frere couchoit ordinairement. Prés d'un lict estoit une petite fille aagée de deux ans ou environ, & prés d'elle un grand homme habille de noir, qui tourmentoit & faisoit crier ce petit enfant, qui estoit à son Frere. Meissonnier estonné de la veuë de cet homme, de mesme que du tourment qu'il donnoit à sa Niece, luy demanda que luy avoit fait cét enfant, qu'il le fit crier de la sorte. Lors cet homme en le regardant de travers, & se jettant sur luy furieusement, l'empoigna par la gorge, & luy tint ce langage. C'est à toy à qui j'en veus. Ce disant il le jetta rudement à terre, luy deschira ses hauts de chausses & l'ayant pris par les parties honteuses, tira un cousteau qu'il portoit dans l'une de ses pochettes, & les luy couppa tout net, & puis luy arracha les genitoires, jusques à la racine, de sorte qu'il y pendoit un petit boyau. Le bruit que Meissonnier fit en se demenant, & en criant, quoy que d'une voie casse & debile fut cause que sa belle Soeur monta en haut. Mais cét homme noir s'en estoit desja allé par la fenestre, ainsi que [illisible] apres Meissonnier luy mesme.

En fin céte pauvre Femme vit un horrible spectacle. Son enfant qui avoit la gorge couppée, & son frere mutilé de la sorte que nous venons de reciter. Elle se mit à crier comme une folle, & lors tous ceux qui preparoient la Nopce monterent aussi en haut, & Dieu sçait de quel estonnement ils furent saisis, lors qu'ils apperceurent une chose si prodigieuse.

L'Esprit malin avoit couppé par tranches, & par rouëlles l'instrument de cet homme, & les avoit semées par la chambre, ayant mis au milieu les genitoires & le boyau pendant. Et la petite fille gisoit morte, & n'ageoit au berceau dans son propre sang, ayant la gorge couppée. Meissonnier estoit cependant à terre, non moins soüillé de son sang que sa petite Niece, & tirant presques aux peines de la mort.

On le prit, & on le coucha sur un lict, car il ne pouvoit nullement se lever & se soutenir, tant pour la douleur mortelle qu'il sentoit, que pour la frayeur qu'il avoit euë.

La maison fut incontinent remplie de pleurs & de gemissemens, & les chants nuptiaux furent changez en complaintes funebres. Les cris & les regrets de la Mere furent bien-tost suivis de ceux du Pere qui eut bonne part à cette afflication, quand il revint à la maison, d'où il estoit sorti un peu auparavant pour certaines affaires.

La compagnie qui venoit avec la fiancée à la nopce pour y faire bonne chere eut bien de quoi exercer ses yeux aux pleurs & à la pitié : mais particulierement la fiancée qui venoit de perdre l'instrument de son mariage.

En fin comme tout le logis estoit en pleurs & en lamentations, quelqu'un qui assistoit & consoloit le jeune Meissonnier, sçeut de luy tout ce que vous avez ouy cy dessus. Il le luy raconta de point en point, avant que rendre l'esprit car il mourut trois quarts d'heure apres. Les Officiers de la Justice du lieu se rendirent demesme bien-tost en ce triste logis, & chargerent leur Verbal de ce que le pauvre Meissonnier recitoit publiquement.

Il y eut un Catholique qui tascha de luy faire reognoistre la faute qu'il avoit faicte, en quittant la Religion, & rompant son voeu : mais toutes ses remontrances, & ses persuasions furent inutiles. Cependant le Juge du lieu à l'instance du Procureur fiscal, fit faire le procez à cét homme, remonstrant qu'il s'estoit luy-mesme meurtry & tué sa niece de sorte qu'il demandoit que tous & chacuns ses biens fussent confisquez au Seigneur du lieu. Meissonnier le frere alleguoit au contraire, que cela estant arrivé par un accident estrange, & par la cruauté du Diable, à qui Dieu avoit donné céte permission, pour des raisons où l'on ne peut trouver aucune raison, parce qu'il est impossible de juger des secrets du Ciel, le bien ne devoit point estre confisqué, ains luy appartenoit, comme plus proche parent du defunct.

Sentence apres toutes ses allegations fut donnée, & les biens adjugez au Seigneur de Soliers. Le Frere en appella soudain à la Cour de Parlement, & Chambre de l'Edit de Provence, seant à Grenoble, où ceste sentence fut cassée en faveur du frere qui eut l'adjudication de ses biens.

Et à la verité si l'on regarde de prés cét estrange & inouy accident l'on pourra voir qu'autre que le Diable ne pouvoit avoir exercé toute ceste cruauté : il n'est pas possible qu'un homme, quelque force qu'il puisse posseder, ayt le pouvoir de s'arracher luy-mesme jusques à la racine les genitoires, se coupper l'instrument viril, & puis parmy une douleur plus sensible que tout autre, avoir la patience d'en faire des tranches, & rouëlles & les semer par une chambre. Et puis le sens rassis que tesmoignoit cét homme ainsi mutilé, monstroit clairement que ce qu'il racontoit de cet homme habillé de noir, qui estoit passé par la fenestre, avoit plus qu'apparence de verité.

Voila donc la fin de ces belles Nopces, & le mal'heur arrivé à un homme qui avoit rompu son voeu, & à un frere qui l'avoit induit à le rompre. O secrets & jugemens de Dieu, que vos abismes sont profonds ! Je ne suis pas tant estonné de la punition du jeune Meissonnier, que de la fin pitoyable du petit enfant qui estoit dans le berceau. Toutesfois quand je considere, que bien que le diable soit le commun adversaire des hommes, il ne peut pourtant rien faire sans l'expresse permission de Dieu, je sors de cét estonnement, & me range tousjours à la volonté de celuy qui n'est pas obligé de nous rendre conte de ce qu'il faict.

En fin, ô vous qui faictes des voeux & puis les rompez, ne devez vous pas trembler de peur par cet exemple ? Souvenez-vous qu'en faisant un voeu, vous vous obligez si estroittement, que vous ne pouvez, ny ne devez faire autre chose. Si vous n'accomplissez point ce que vous avez voüé, vous n'estes plus ce que vous seriez, si vous ne l'eussiez point promis. Prenez garde encores à ce que vous dit un S. Pere de l'Eglise : Ananias (dit il) avoit voué une somme d'argent à Dieu, & il en retint une partie : mais une mort deplorable en fit la punition. Et si pour avoir retenu de l'argent il fut si grievement puni de Dieu : que sera-ce de toy miserable, qui ne retiens pas à Dieu de l'argent, mais toy-mesme, qui s'estoit donné à luy. Dieu par sa saincte grace nous detourne de semblables desastres, & nous inspire tousjours à luy rendre ce que nous luy promettons.


(texte non relu après saisie - 03.01.08)

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