Jules Janin
(1804-1874)

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Modes
(1828)

C'EST une grande concession, sans doute : un journal politique parler de modes ! Et la gravité ! où est-elle ? A la bonne heure ; mais partout on s'occupe de modes, et puis ne faut-il pas un dédommagement, même frivole, à tant de discours sans fin et de dissertations â perte de vue ? A tout hasard donc, voici ce que nous avons appris des modes nouvelles ; nous parlons d'hier, ce ne sera peut-être plus la même chose demain.

Hâtons-nous donc, il s'agit de quelque chose d'aussi fugitif qu'une ombre dans le dernier mois de l'automne ; quelque chose, et puis rien, une feuille qui pend encore à l'arbre, que le vent détache de la branche et qui se perd dans le bois, ou, si vous aimez mieux, une lourde histoire de M. Capefigue, de petits vers de l'école moderne, une ballade de M. Hugo, une élégie espagnole de M. Émile Deschamps, un poëme burlesque de M. Viennet, rien de plus.

Nous avons donc appris qu'un chapeau habillé doit être en crêpe rose lisse et en blonde ; c'est un chapeau déjà moins printanier, avec quatre bandes sur la passe, trois plumes blanches et roses au sommet, un demi-voile de blonde sur le devant, assez de blonde pour couvrir d'une ombre légère la chevelure bouclée et cet oeil si vif de jeune femme qui sort par un beau soleil, pas assez longue cependant pour vous cacher son sourire, et la proportion est difficile à trouver !

On porte encore des chapeaux de paille d'Italie, les chapeaux en papier ayant fait aussi peu fortune que les discours de M. Agier ; on a mis du trèfle d'eau sur ces chapeaux ; vous voyez d'ici l'effet : une plante verte, à larges feuilles, fille de l'orage ; aussi bien tombe-t-il assez d'eau, depuis quelque temps, pour qu'on ait songé au trèfle aquatique à la place de la rose, si fraîche, si belle, mais, hélas ! si passagère toujours !

Vous avez vu souvent le matin, dans la rue de Rivoli, et donnant le bras à son père, quelque jeune personne de dix-huit ans, en robe bleue, en petits souliers et sans écharpe ; alors, il n'y a pas de doute que sa jolie tête était cachée sous une longue capote de paille lisse bien sombre et doublée de rose d'une teinte fort vive ; vous diriez de loin une jeune danseuse sous un lustre, qui voudrait se dérober à la lumière et qui ne peut éviter les regards.

On a fait aussi des chapeaux marseillais en gros de Naples et en moiré ; la forme en est basse et plate, les bords, plats aussi et égaux tout autour, ont au moins six pouces de large. Pour porter un tel chapeau, prenez une belle et grande femme, belle taille, teint vif, noble profil, oeil grand et animé, Mlle Georges, si vous voulez, le lendemain d'un triomphe, quand elle aura joué la Christine de l'auteur de Roméo.

Vous êtes à Tivoli, le soir (hélas !, pauvre et beau jardin de Tivoli, le déluge a fait fermer ses portes, il a ôté leur couleur à ses girandoles enflammées, leur soleil à ses feux d'artifice, leur harmonie à ses concerts, comme il a enlevé la saveur aux glaces et aux sorbets de Tortoni) ; vous êtes, vous dis-je, dans les bosquets de Tivoli, le soir, un léger parfum perce devant vous, puis le bruit d'un soulier neuf, le froissement d'une robe ; à coup sûr cette robe est une jupe de jaconas rose ou d'étoffe de soie d'un beau vert; et pour dessiner cette jupe, dont l'extrémité, tombant à la cheville, laisse entrevoir un pied de nymphe, un canezou blanc, sans riche broderie, tout simple, éblouissant de fraîcheur et légèrement ombré par une teinte châtaine à son sommet.

Dans beaucoup de salons de haut parage, surtout dans les salons où se réfugie le bel esprit, alors que chacun fait silence, que la maîtresse de la maison appuie sa tête dans sa main gauche et son bras sur le bras de son fauteuil, quand la pendule semble arrêtée et que le lecteur, déroulant la tragédie de Moïse, tremble de ne pouvoir pas assez bien lire, et ne se souvient plus de ses succès de théâtre et de vieille tragédie chantée ; alors, si vous êtes jeune homme et plus avide de réalité que de chimère, de poésie vivante que de poésie morte, de drame passionné que de déclamation languissante, vous laissez errer vos regards sur les femmes de l'assemblée, et vous remarquez leurs manches à l'imbécile. C'est ainsi qu'on les nomme, et bien injustement, sans doute : en effet, figurez-vous, attachées à une robe de grande dame, deux larges manches ouvertes depuis la saignée, à l'endroit même où Dupuytren choisirait la veine la plus gonflée, au milieu des veines plus petites qui se croisent jusqu'au poignet, à la place même où finit le gant jaune et frais ; voilà les manches à l'imbécile.

Deux petits boutons d'or émaillés ferment cette fente, mais non pas assez pour empêcher de voir le bras blanc et potelé. Et se cupit ante videri.

On m'a fait remarquer au jardin des Tuileries, avec admiration, il est vrai que l'observateur était une femme, un canezou blanc surchargé par derrière d'une basque large de quatre doigts et haute de deux. « Que c'est riche et beau ! disait la dame. - Je préfère à ce canezou, lui répondis-je, et à sa basque de quatre doigts, ce charmant brodequin d'étoffe, lacé de côté en dedans, qui donne à une jeune personne les pieds légers d'une perdrix grise quand la moisson est faite, et qui vole plutôt qu'elle ne court sur la paille coupée ! - Ce brodequin est fort joli disait la dame en soupirant ; mais j'aime mieux cette basque large de quatre doigts et haute de deux !

- Voyez-vous, Madame, lui répondis-je, il me semble que la mode est faite surtout pour les hommes, et qu'à eux seuls appartient de la juger. Soyez donc persuadée que ce canezou à larges basques, que vous trouvez si beau, n'aura pas de succès parmi nous. Parlez-moi des capotes de paille, des jupes roses, des brodequins gris ou rouges, ou, si vous aimez mieux, de ces robes du matin si simples et si jolies, qui ont des poches comme un tablier de soie de la rue Vivienne ! - Les poches sont plus petites qu'à l'ordinaire, répondit la dame, et elles sont de la même étoffe que la robe, » ajouta-t-elle ; puis avec un profond soupir : « J'aime mieux ce canezou avec cette basque large de quatre doigts et haute de deux ! »



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