Loüys Rat
(16..-17..)

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Recit fidelle de la tortue vivante, tirée du genou d'un Musicien habitant, & Bourgeois d'Annessy en Savoye.
Par les merveilleux secrets d'un Seigneur Sicilien nommé Dom Antonio Fardella de Calvello Gentil-homme de la Ville de Trapano en Sicile,
habitant aujourd'huy dans le même lieu

(1686)


VOICI LA SUBSTANCE de la Relation d'honorable Loüys Rat Musicien, & habilité dans l'Eglise Cathe­drale de S. Pierre de Gene­ve, de ladite Cure arrivée en sa propre personne par lui si­gnée du dixiéme Fevrier 1685. & remise entre les mains de Maître Descombe Notaire Ducal Royal d'An­nessy comme il resulte de son acte par lui fait & signé en bonne forme du dernier Fevrier 1685.

LES empressemens, dit-il, de plusieurs curieux, & persones de qualité m'obligent à leur donner une relation fi­dele de ma maladie qui commença il y a environ 18. ans par une enflure de genoux qui croissoit insensiblement qui est venuë enfin de la grosseur de ma teste, ce qui me persuadoit que c'estoit une Loupe, la grande douleur que je sentis sur la fin du mois de Decembre de l'an 1684. m'o­bligea à garder le lit, jusques à ce que m'estant aperçu des merveilleuses experiences qu'à fait en cette Ville par le mo­yen de ses secrets, un Sei­gneur de la Ville de Trapa­no en Sicile, nomme Dom Antonio Fardella de Calvello, je fis tous mes efforts pour aller chez lui consulter mon incommodité qu'il examina, & me dit enfin que c'estoit une Tortue venimeuse en vie, qui    s'estoit engendrée dans mon genoux d'humeur froi­de, ce qui arrivoit souvent pour se mettre à genoux sur des pierres vives, alors il me fit ressouvenir qu'avant mon incommodité cela m'estoit ar­rivé d'y avoir mis mondit ge­noux tout nud au sortir de m'estre baigné, & que du dépuis il m'estoit survenu du même jour une enflure qui a crû de jour en jour comme est dit, il m'assura que c'estoit une maladie mortelle, vû que la dicte Tortue ayant toûjours eu les yeux fermés voudroit à la fin les ouvrir, & chercher la route pour sortir sa teste, & que si-tôt qu'elle verroit le jour je mourrois dans le mê­me instant s'il ne me donnoit un prompt secours, comme il estoit arrivé, disoit-il, à plusieurs, & notamment à un homme qui en avoir porté une pendant 31. ans.

Il me dit encore que si l'on avoit traité mon mal comme une louppe, & que l'on l'eusse persé d'aucun fert que j'en se­rois mort, de même il me rassfura fort voyant mon apre­hension, me disant que si elle venoit à sortir la teste, qu'il lui feroit perdre la vuë auffitôt, & que même il la feroit mou­rir sans que j'en encourusse aucun danger. Il m'assura de plus que si je pouvois trouver une Tortue ordinaire en quel­que lieu, que par son moyen il feroit sortir la mienne sans peril, par une action sympati­que & magnetique, & la com­munication naturelle qu'il y avoit de l'une avec l'autre. Ce fut envain que j'en envoyai chercher par tout, puisque je n'en pus trouver aucune pen­dant une vingtaine de jours qu'il me donna de loisir pour cela avant que m'entrepren­dre.

Je me sentis cependant ex­trêmement incommodé, & plus que d'ordinaire, ce que me faisant recourir audit Sei­gneur Dom Antonio afin qu'il me fit la grâce de m'appliquer ses remedes, ce qu'il fit avec beaucoup de cordialité, me disant qu'il falloit que j'euffe une grande confiance en Dieu, & à la sainte Vierge, parce que ce même soir à 7. heures mon genoux se devoir ouvrir, ce qui arriva sans manquer, & le lendemain matin m'aiant levé l'emplâtre qu'il m'avoit mis, la Tortue sortit la teste en même temps, & les deux pat­tes de devant, ce qu'ayant vû il lui mit soudain un autre qe­cret devant les yeux qu'il avoit à la main preparé pour cela, mais un miserere apres je vis sauter à deux pas de moy l'œil droit de ladite Tortue, apres quoy il me dit que le premier peril estoit passé parce que l'autre    œil de même estoit aveuglé.

Il me fit observer sa teste, sa bouche, & ses pattes mou­vantes, comme celles des au­tres Tortues ordinaires, il la fit demeurer ainsi dehors pen­dans un quart d'heure pour me la faire mieux voir aussi bien qu'à ma femme, & plusieurs autres perfonnes qui estoient là prefentes.

Il se fervit d'un autre secret pour la faire rentrer entiere­ment dedans, & l'y laisa ain­si quelque temps, & me com­manda de m'aller mettre au lit, me disant qu'à deux heures de-là il m'arriveroit un grand froid qui me dureroit quatre heures, & qu'ensuite je serois saisi d'une grande chaleur avec une fievre tres-ardente qui dureroit quelques jours, cepen­dant je sentis une douleur extraordinaire à mon genoux, ce qui m'obligea à lever le se­cret de dessus, & je vis la teste de la Tortue qui estoit enco­re sortie, quoique aveuglée, je la remis dans son trou, & la recouvris du même remede.

Une heure après ledit Sei­gneur Dom Antonio arriva prés de moy qui me visita le genoux, & me palpa par tout le corps, & me remit ensuite un autre secret, me declarant qu'à midy ma fievre devien­droit plus violente & que deux heures après je tomberois dans le delire, dans lequel je demeuray une heure & de­mi, apres quoy il me reapliqua un autre remede qu'il me de­clara estre propre pour tuer la Tortue ce qui arriverait à sept heures mais que dans le mo­ment j'aurois un grand trem­blement de corps avec un bat­tement de coeur qui dureroit un moment auquel il me sem­bleroit d'estre dans un brasier de feu, toutes ces circonstan­ces arriverent comme il me l'avoir dit.

Le 11. du même mois à neuf heures du matin il observa mon genoux & me dit que deux heures apres je souffrierois plus de douleur qu'à l'ordinaire & qu'alors je levasse le remede & que la Tortue commenceroit à sortir morceaux par morceaux, & qu'ayant reapliqué le secret il en sorti­roit ainsi tout le reste, mais que ce qui sortiroit sur la fin se­roit d'une puanteur si insu­portable, que ma femme, & tous ceux qui seroient aupres de moy seroient contraints de m'abandonner, & que je croi­rois de rendre mon ame à Dieu, mais que quelques mo­mens après je serois soulagé, le tout arriva ponctuellement comme il me l'avoit annoncé, sur quoy il survient, & m'ayant apliqué des grenoüilles vives à la plante des pieds, & à la palme d'une main, il me donna à l'autre un sablier d'u­ne heure, me disant que si l'on me laissoit lesdites grenoüilles plus de cette heure que mon corps reprendroit le venin qu'elles auroient attirées, & me feroit mourir, ce qui me fit prendre garde à moy, & me les fis lever si à propos qu'aussi-tôt ma fievre fut cessée, & les grenoüilles creverent tou­tes noires de mon venin, je fentis du dépuis une grande fraîcheur comme il me l'avoit predit, mon appetit fut reveillé & je me trouvay absolument hors de danger.

Il m'apliqua ensuite de tems en tems ses remedes si à propos pour parachever la guerison de mon genoux qu'en peu de temps par la grace de Dieu il en vient à bout, & me ren­dit ce genoux au même estat que l'autre, & me retablit le marcher comme si je n'avois jamais eu aucune incommo­dité.

Pour le soutien de tout le narré que dessus.

Il y a une declaration de Re­verend Messire Charle Tripier,  Aumonier des Reverendes religieufes du premier Monastere de la Visitation d'Annessy du 8. May 1685. par lui signée, par laquelle il assure avoir trouvé ledit Sieur Rat dans la maison de Sei­gneur Dom Antonio Fardel­la, atteint d'un grand mal de genoux dont la grosseur étoit aprochante de la tête, ce  que ledit Seigneur Dom Antonio fit remarquer à tres bonne compagnie, & leur fit voir que l'on y voioit l'apparence d'un animal, dans 4. ou 5. endroits, sur tout à la tête, & à l'endroit des 4. pattes, une efpece d'ou­verture, il dit en outre que le jour suivant il avoit vû vne grande ouverture audit ge­noux droit laquelle il a vû trai­ter tous les jours par ledit Sei­gneur, sans fert, ni tâtes, & que le malade fut gueri dans 3. femaines. Cette declaration a­yant esté mise entre les mains d'un nommé Decombe, No­taire, a esté par lui autorisée, & fignée le 28. May 1685.

Il y a une autre declaration d'un nommé Claude l'Epine, Maître Chirurgien & Bour­geois de la Ville d'Annissi, par lui signée du 28. May 1685, qui justifie avoir vû ledit ge­noux gros comme sa tête, ne pouvant traîner cette jambe que par l'appui d'un bâton, mais que quelque tems après ledit Sieur Rat Maître Musi­cien predit, lui montra sondit genoux, & qu'il l'avoit trouvé dans sa figure naturelle, sans apparence même d'aucune cicatrice, ayant declaré avoir esté gueri par les secrets dudit Seigneur Dom Antonio Fardella, qui en auroit fait sortir une Tortuë piece par piece. Ladite declaration a esté autorisée par acte de Mre Des­combe Notaire, du même jour & an que dessus.

Il y a une autre declaration du même jour, & an que dessfus, d'honorable Perrine fille de Maître Claude Franc, de Poulier, qui assure avoir vû la tête d'une Tortuë qui sortit du genoux du même honora­ble Rat, ce qu'elle vit lorsque le cas arriva entre les mains du Seigneur Dom Antonio Fardella. Cette declaration a été reduite par main de No­taire, signé Descombe.

Il y a une autre declaration du même jour, & an que dessus, du Sieur Joseph Saget, Ad­vocat au Souverain Senat de Savoye, par lui fignée, & autorisée par Mre Grinjon Notai­re, qui assure s'être transporté avec sa mere & sa femme, dans la maison du Sieur Rat Musicien, allitté, & dans un grand accès de fievre, comme ledit Sei­gneur lui avoit predit, qu'il assura se sentir un fretillement dans le genoux comme de quelque animal renfermé de­dans, ce qui se trouva vrai, puisque dans le tems que ce Seigneur Sicilien leva l'appa­reil qu'il avoit mis dessus, il vit & observa lui-même la tête d'une Tortue vivante, aussi bien que les pattes du devant, qui estant repoussées dans leur place par le même Sei­gneur qui lui appliqua un au­tre remede, mais que l'ayant levé, il en fortit un œil qui sau­tat à terre, ce qu'il observa tres bien, & la curiosité l'ayant por­té à voir, & à toucher si comme ledit Seigneur Sicilien lui avoit dit, l'autre œil de la Tortuë estoit crevé, il vit, & resta convaincu de la verité de son pronostique.

Il y a encor une autre decla­ration du 20. juin 1685. de Messire Claude Longy, Prêtre & Chanoine Machabé, & ha­bilité de la Cathedrale de Ge­nève, qui assure avoir vu de­puis plusieurs années le ge­noux dud. Rat Musicien croî­tre de jour en jour, & à la fin presque aussi gros que la teste d'un homme au dessus la cou­pe dudit genoux, & que ledit Rat protestoit qu'il y avoit quelque chose qui y remuoit, & fretilloit de tems en tems, & qu'ensuite il en avoit esté trai­té par le Seigneur Dom An­tonio Fardella, & que par l'ou­verture qu'il lui fit sans ferre­ment, il en sortit une veritable Tortuë qui remuoit la teste, & les pattes, ce qu'il observa fort bien, & laquelle Tortuë, quel­ques jours apres, ledit Seigneur Fardella fit sortir en pieces, & le guerit si parfaitement, qu'il ne se connoit pas en quel des genoux il a eu le mal. Cette declaration est autorisée du 21. juin 1685. par main de Notaire signé Grinjon Commissaire general des Extantes de S. A. R. en la Chambre des Comptes de Savoye.

Il y a encor une autre de­claration du 26. mai 1685. de Damoiselle Magdelaine, fille du Sieur Jaque Bovery, Con­feiller d'Etat, & des Finances de S. A. R. femme de spectable Nicolas Garbillon, faite entre les mains de Mre Descombe Notaire, & par lui fignée, qui assure avoir vu sortir du ge­noux dudit Rat Musicien, une tête à forme de celle d'une tor­tuë, dont il chut un œil à terre, ce qu'elle afferme par serment veritable.

Ledit Notaire est declaré Notaire de veritablement bon­ne renommée, fidelle, & loyal, tellement que les écrits ont toûjours eu foi en jugement sans contredit, come est attesté par un certificat donné pour ce sujet par Monseigneur Da­ranthon Dalex, Evéque, & Prince de Genève, par lui si­gné à Annissi, du 2. mars 1685. & soussigné Morens, avec le grand seau de l'Evéché.

Voilà , Monsieur, le fidele re­cit de cette étonnante guerison, dont les circonflances peu­vent faire connoitre combien ledit Seigneur Dom Antonio Fardella est experimenté dans le traitement des principales maladies qui peuvent attaquer le corps humain.

Je tais à V. E. quantité de fistules gueries, plusieurs can­cers, loups corrodens, escroüelles,    gangraines,    hemoroïdes, maux caducs, ethisies formées, fievres malignes,    hidropisies, paralesies, veroles inveterées, fievres quartes, schinances, & toutes autres maladies qu'on nomme ouvertement oppro­bres de la medecine, & notam­ment ceux qui de naissance auroient la langue tellement engagée, qu'à peine peuvent ils prononcer une parole qui puiffe estree intelligiblement entenduë, dont nous avons en cette Ville un exemple éton­nant en la perfonne d'un Re­ligieux de l'Ordre de S. Fran­çois, qui n'auroit jamais pû recevoir ses ordres sans son ad­mirable fecours.

L'on donneroit de tout cela d'aussi solides attestations, que de la Cure predicte, si l'on n'avoit crainte d'in­quieter Vôtre Excellence sur tant de choses diverses, qui paroîtroient peut-être trop recherchées pour reausser le merite de ce Seigneur étranger que je prens la liberté de lui offrir, il me suffit, je crois, de representer à Vôtre Excellence ce petit rayon de ses sens, qui semblent imiter celui des pierre­ries du Levant qui plus elles sont dans l'ombrage, plus elles font éclatter leurs lumieres, & se font rechercher enfin dans les plus sombres obscuri­tés.


Achevé d'imprimer à Chambery ce 4. Septembre 1686.

Réimprimé à Paris chez Adolphe Lainé, en la rue des Saints-Pères, au numéro 19, par les soins de Marguerite et René Muffat - de Menthon, bibliographes.


(texte non relu après saisie - 30.08.10)

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