Charles Sorel
(1582?-1674)

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Les Loix de la Galanterie
(1644)

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LE petit opuscule anonyme que nous réimprimons a paru pour la première fois dans le recueil fort rare d'où nous avons déjà extrait la Ruelle mal assortie (1). S'il n'a pas le mérite littéraire de cette dernière pièce, il nous offre, du moins, quelques détails précieux sur la vie de nos aïeux vers le milieu du XVIIe siècle. Et il est assez curieux de comparer les Loix de la Galanterie, en 1644, avec le Traité de la Vie élégante, publié de nos jours par Balzac. Tous deux partent à peu près de ce principe, que le dernier a mis en épigraphe : « L'esprit d'un homme se devine à la manière dont il porte sa canne. »

Si le premier semble avoir adopté l'adage du second, que « l'homme habitué au travail ne peut comprendre la vie élégante » c'est-à-dire que l'oisif, né riche, peut seul être galant (ou élégant) ; s'ils se rencontrent encore dans quelques pensées comme celle-ci : « Tout ce qui révèle une économie est inélégant » (voy. plus loin, p. 4, 5, 23), la lecture de ces deux petits écrits suffit pour montrer l'immense différence qui sépare notre siècle du XVIIe. Balzac, par exemple, proclame « qu'il faut avoir été au moins jusqu'en rhétorique pour mener une vie élégante », axiome qu'auraient rejeté bien loin tous les Galands d'il y a deux cents ans. Pour lui, l'élégance dépend aussi bien de l'esprit que du corps, tandis que son devancier ne s'est guère occupé que de la bête, comme dit X. de Maistre ; mais il faut avouer qu'il l'a ornée depuis les pieds jusqu'à la tête.

Il y a surtout, à la p.11, des conseils donnés par l'auteur du XVIIe siècle qui paraîtraient fort étranges aux élégants de notre époque : « L'on peut, dit-il, aller quelquefois chez les baigneurs pour avoir le corps net, et tous les jours l'on prendra la peine de se laver les mains avec le pain d'amende. Il faut aussi se faire laver le visage presque aussi souvent », etc., etc. On voit, d'après ces étranges préceptes, que les mères donnent seules aujourd'hui à leurs petits enfants, à quel point la véritable élégance était inconnue de nos aïeux, et je crois que, sous ce rapport, la seconde moitié du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe étaient fort inférieures aux époques précédentes. Un seul fait justifiera cette assertion. Le nombre des étuves, fort considérable avant le XVIe siècle (2), diminua sensiblement jusqu'au règne de Henri IV, époque à laquelle leur nombre était excessivement réduit. Les guerres civiles qui, pendant près de quarante ans, désolèrent toutes les parties de la France et jetèrent sur les routes ou dans les champs une partie de la population, firent peu à peu tomber en désuétude les usages de propreté. Aussi une reine, Marguerite de Valois, si renommée par sa galanterie, put-elle dire à son amant, sans choquer la délicatesse du cavalier : « Voyez ces belles mains encore que je ne les aye point descrassées depuis huict jours, gageons qu'elles effacent les vostres et que, toutes mal soignées qu'elles sont, elles leur font perdre leur lustre. » (3) - La bonne dame ne devinait guère qu'un jour Voltaire écrirait :

Sans propreté, l'amour le plus heureux
N'est plus amour, c'est un besoin honteux.

Enfin, à l'époque de Tallemant des Réaux, la propreté était encore tellement une chose de luxe que le mordant écrivain, quand il veut faire l'éloge d'une femme, ne manque pas de relever le soin qu'elle apportait à sa personne (4).

Une particularité assez curieuse que présente notre opuscule, écrit d'un ton moitié sérieux, moitié badin, c'est que le personnage qu'il nous présente comme le parangon de la galanterie est précisément le type du marquis, de l'homme de cour que Molière a ridiculisé tant de fois. Il semble même, ainsi que nous l'avons fait remarquer en note à la p. 15, que le grand écrivain ait connu et mis à profit les Loix de la Galanterie.

Mais en voilà assez ; car il faut se rappeler le mot de Rivarol comparant les commentateurs de pièces légères aux douaniers, qui mettent un lourd morceau de plomb aux étoffes de gaze arrivant à la frontière.

LUD[OVIC] L[ALANNE]


LES LOIX
DE LA GALANTERIE


I.

Nous, Maistres souverains de la Galanterie, estans assemblez, selon nostre coustume, pour la publication de nos loix, qui est quelquefois renouvellee plus souvent que tous les jours, Avons arresté qu'aucune autre Nation que la Françoise ne se doit attribuer l'honneur d'en observer excellemment les preceptes, et que c'est dans Paris, ville capitale en toutes façons, qu'il en faut chercher la source. Les esprits Provinciaux n'auront point aussi l'air du grand monde sans y avoir fait leur cours en propreté, civilité, politesse, eloquence, adresse, accortise, prudence mondaine, et s'estre acquis toutes les autres habitudes dont la vraye Galanterie se compose. Encore avec tout cela ne pourront-ils pas exercer notre Art illustre dans leurs villes esloignees, pource qu'il n'a cours veritablement que dans Paris, ville incomparable ou sans pair, de laquelle lorsque les vrais Galands sont esloignez, ils se trouveront comme les grands poissons de la mer dans une petite mare où ils ne peuvent nager faute d'eau, si bien que celuy qui porte cette dignité ne s'esloignera que le moins qu'il luy sera possible d'un lieu qui est son vray Element.

II.

Nous n'entendons point qu'aucun soit si hardy de pretendre en Galanterie, s'il ne vient d'une race fort relevee en noblesse et en honneurs, et s'il n'a l'esprit excellent, ou s'il n'a beaucoup de richesses qui brillent aux yeux du Monde pour l'esblouyr et l'empescher de voir ses defauts. Neantmoins, cela n’empescheraera pas qu'il n'y ait des Galands de divers estat, comme il y en peut avoir de differentes conditions, lesquels tant qu'ils seront en cet estat se devront pourtant contenter d'une gloire basse et obscure parmi des gents de leur sorte ; car il ne se faut point imaginer qu'il y ait aucun moyen de parestre veritablement sans estre logé dans des Palais somptueux, sans estre superbement vestu et suivy de quantité de valets, et mesme sans estre nommé de quelque haut tiltre, soit de dignité, soit de seigneurie.

III.

La Noblesse s'estant attribué principalement cette prerogative de s'elever au-dessus des autres hommes, il n’y a point de doute que la Galanterie luy sied mieux qu'à qui que ce soit, principalement lorsqu'elle s'est conservee de temps immemorial par l'exercice des armes ; de sorte que les enfants des hommes de robbe et des riches financiers, n'ont point tant de grace à faire les Galands, et ce leur est une vertu moins naturelle. Neantmoins quelque antiquité de race qu'ayent les Seigneurs et Gentilshommes, s'ils n'ont beaucoup de bien avec cela, leur Galanterie sera fort basse, pource que leur condition les obligeant à faire plus de despense qu'en toutes les autres et n'estans pas instruits à faire valoir leur bien par le trafic, le prest d'argent, ou les partis (5) et autres moyens qui ne sont pas honestes pour eux, plusieurs d'entr'eux seront sujets à tomber dans l'indigence et n'avoir pas les choses necessaires à la vie, tant s’en faut qu'ils ayent ce qui ne doit servir que de parade et d'ornement. Mais nous y avons mis un bon ordre en les avertissant d'emprunter de tous costez, et d'appuyer leur credit par tous les artifices imaginables, les asseurant que c'est une des marques de Noblesse d'en faire ainsi, et que s'ils ne sont point Ministres d'Estat, ni generaux d'armee, ils ne laisseront pas d'avoir quantité de gents à leur lever qui formeront une grosse Cour, dont il y en aura mesure qui leur presteront de nouveau, soit argent, soit marchandise, quelquefois en aussi grand nombre qu'auparavant, pour les obliger par cette bonté à leur donner satisfaction des premieres debtes. Que s'il leur arrive de se battre en duel ou de se trouver en une bataille et en un assaut de ville, ils seront asseurez qu'il y aura force gents qui prieront Dieu continuellement pour leur conservation.

IV.

Il faut que chacun sçache que le parfait Courtisan, qu'un Italien a voulu descrire (6), et l'Honeste Homme (7), que l'on nous a despeint en françois, ne sont autre chose qu'un vray Galand, tellement que toutes les bonnes qualitez que l'on a souhaittees à d'autres separement doivent estre toutes reunies en luy ; mais outre cela il doit avoir la somptuosité, la magnificence et la liberalité en un degré souverain, et pour y fournir il doit avoir un grand revenu. Que s'il y a eu des philosophes qui, mettant la Richesse entre les biens externes, ont dit qu'elle n'estait point necessaire à rendre l'homme vertueux ny heureux, nous leur soustiendrons que ce sont des Pedans et melancoliques qui ne sçavent en quoy consiste le bien de la vie, et mesmes qui meriteroient d'estre punis pour ne pas suivre leur grand Maistre Aristote, qui nomme la beauté du corps, la bonne fortune et la richesse entre les choses necessaires à la felicité. Nous enseignons à tous ceux qui voudront observer nos Ordonnances de faire ainsi leur profit des bons livres lorsqu'ils seront conformes à nos opinions, et de corriger ceux qui en seront trop esloignez. Ils souffriront bien que l'on les appelle parfaits Courtisans ou Honestes Hommes et gents qui sçavent bien ce que c'est des bonnes moeurs et des reigles de la vie, pourveu que l'on entende que cela est ordonné selon leur Moralle particuliere ; et si l'on les appelle Hommes du Monde, l'on sçait bien de vray que tous les autres hommes sont du monde comme eux, mais l'on voudra dire qu'ils sont du grand Monde, qui est celui dont l'on doit faire estat.

V.

S'il arrive qu'un homme qui ait l'esprit propre à la Galanterie, n'ait pas neantmoins assez d'argent pour y fournir plusieurs annees, nous lui permettons de manger tout son bien en un an, si le cas y eschet, plustost que de laisser eschapper aucune occasion de parestre. Il suffira qu'il se reserve l'Esperance, comme Alexandre-le-Grand, qui a esté un Prince des plus galands que l'antiquité ait produits. Quelquefois il arrive des successions ou des donations lorsque l'on n'y pensoit pas. Une vefve pecunieuse peut epouser celui qui n'est riche qu'en bonne mine, et en faisant sa Cour avec assiduité aupres des plus grands, l'on obtient d'eux des emplois et des pensions qui remettent un homme dans le haut lustre ; et s'il ne s'estoit point hazardé de parestre tout le plus qu'il pouvoit, il n'y fust pas parvenu, estant tenu pour un homme mesquin et de peu de consideration.

VI.

Il y a une adresse fort louable pour ceux qui ne sont pas capables de faire d'eux mesmes tout ce qu'ils desireroient, c'est de se joindre de compagnie à ceux qui ont de quoy faire une grande despense, et les y engager insensiblement, mais d'une telle sorte que l'on croye que ce soit eux qui la fassent (8). Ainsi quelques-uns donneront des inventions de ballet et feront faire d'autres parties à leurs associez dont ils auront l'honneur, pource qu'ils s'entremettront de tout et que les autres ne seront pas assez effrontez pour aller publier que c'est leur bourse qui fournit à l'appoinctement.

VII.

Lors que la Mode a voulu que les Seigneurs et Hommes de condition allassent à cheval par Paris, il estoit honeste d'y entre en bas de soye sur une housse de velours et entouré de pages et de laquais. L'on faisoit alors mieux voir sa taille et ses beaux habits, et son adresse à manier un cheval. Mais maintenant, veu que les crottes s'augmentent tous les jours dans cette grande ville avec un embarras inevitable, nous ne trouvons plus à propos que nos Galands de la haute volee soient en cet equipage, et aillent autrement qu'en carrosse, où ils seront plus en repos et moins en peril de se blesser ou de se gaster, y pouvant aller en bas de soye ou bottez, puisque la mode est venuë d'estre botté, si l'on veut, six mois durant sans monter à cheval (9). Nous sçavons qu'autrefois, pour parler d'un qui paroissoit dans le Monde, soit financier ou autre, l'on disoit de luy : Il ne va plus qu'en housse ; mais maintenant cela n'est plus guere propre qu'aux medecins (10) ou à ceux qui né sont pas des plus relevez.

De quelque condition que soit un Galand, nous lui enjoignons d'avoir un carrosse s'il en a le moyen, d'autant que lors que l'on parle aujourd'huy de quelqu'un qui frequente les bonnes compagnies, l'on demande incontinent : A-t-il carrosse ? et si l'on respond que oüy, l'on en fait beaucoup plus d'estime : c'est aussi une chose tres-utile à un homme qui veut estre dans la bonne reputation, d'entretenir un carrosse, voire deux, quand ce ne seroit que pour faire plaisir à quelques Dames qui n'en ont point, et leur en prester quelquefois pour leurs promenades et leurs visites, ce qui les oblige de telle sorte que l'on est apres beaucoup mieux venu chez elles, et entre les bonnes qualitez d'un Homme, l'on ne manque pas de dire tousjours d'abord : Il a bon carrosse, ce qui vous met incontinent dans l'honneur et la reputation.

VIII.

Si les Galands du plus bas estage veulent visiter les Dames de condition, ils remarqueront qu'il n'y a rien de si laid que d'entrer chez elles avec des bottes ou des souliers crottez, specialement s'ils en sont logez fort loin ; car quelle aparence y a-t-il qu'en cet estat ils aillent marcher sur un tapis de pied, et s'asseoir sur un faut-œil de velours ? C'est aussi une chose infame de s'estre coulé de son pied d'un bout de la ville à l'autre, quand mesme l'on aurait changé de souliers à la porte, pource que cela vous accuse de quelque pauvreté, qui n'est pas moins un vice aujourd'huy en France que chez les Chinois, où l'on croid que les pauvres soient maudits des Dieux à cause qu'ils ne prosperent point. Quiconque vous soyez donc qui vous trouvez dans la necessité, vous sçaurez que pour cacher vostre defaut, il faut vous lier d'amitié avec quelqu'un qui ait carrosse et qui vous charrie en beaucoup de lieux où vous aurez affaire, à la charge que vous lui cederez par tout et que vous serez son flatteur eternel, ou bien il faudra au moins aller à cheval, non pas avec des housses de cuir pour garder vos bottes, car cela sent son solliciteur de procez, mais avec une housse de serge grise ou de quelqu'autre couleur, ou bien, pour monstrer que cela se fait à l'improviste, vous vous servirez d'une casaque de laquais. Vous pouvez aussi pour le plus seur vous faire porter en Chaize, derniere et nouvelle commodité si utile (11), qu'ayant esté enfermé la dedans sans se gaster le long des chemins, l'on peut dire que l'on en sort aussi propre que si l'on sortoit de la boiste d'un enchanteur, et comme elles sont de louage, l'on n'en fait la despense que quand l'on veut, au lieu qu'un cheval mange jour et nuict.

IX.

Ne vous imaginez pas qu'ayant placé le Galand dans son carrosse, sur son cheval ou dans sa chaize, nous l'ayons par ce moyen equippé de toutes pieces. Cela s'est coulé icy après avoir parlé en general de la despense, d'autant que cela est fort necessaire.

Or l'ayant conduit par la ville, il le faut voir en l'estat qu'il doit estre pour entrer dans les maisons de qualité, si bien que nostre ordre est assez raisonnable. Et pour parler premierement de ce qui concerne la personne, l'on peut aller quelquefois chez les baigneurs pour avoir le corps net, et tous les jours l'on prendra la peine de se laver les mains avec le pain d'amende. Il faut aussi se faire laver le visage presque aussi souvent, et se faire razer le poil des jouës, et quelquefois se faire laver la teste, ou la desseicher avec de bonnes poudres ; car si l'on a tant de soin de faire nettoyer des habits, et mesme de tenir des chambres nettes et tous les meubles d'une maison, à plus forte raison se doit-on soucier de son propre corps. Vous aurez un valet de chambre instruit à ce mestier, ou bien vous vous servirez d'un barbier qui n'ait autre fonction, et non pas de ceux qui pensent (12) les playes et les ulceres, et qui sentent toujours le puz ou l'unguent. Outre l'incommodité que vous en recevez, il y a danger mesme que, venans de penser quelque mauvais mal, ils ne vous le communiquent ; tellement que vous ne les appellerez que quand vous serez malade, et en ce qui est de vous accommoder le poil, vous aurez recours à leurs competiteurs qui sont barbiers barbans, quelques défenses et arrests qu'il y ait eu au contraire (13). Celui que vous aurez estant tres-propre et tres-adroit, vous frisera les cheveux ou les laissera enflez, et vous accommodera aussi la barbe selon qu'elle vous siera le mieux ; car c'est un ornement naturel le plus excellent de tous, et dont il faut tenir le plus de compte. Les uns portent les moustaches comme un traict de soucil (14) et fort peu au menton, les autres ont une moustache à coquille. D'une façon ou d'autre, l'on est tousjours bien, pourveu que l'on reconnoisse que cela n'est point négligé, mais cela est encore plus estimable quand l'on void que cela vous donne plus de grace.

X.

Après cecy, l'on doit avoir esgard à ce qui couvre le corps, et qui n'est pas seulement estably pour le cacher et le garder du froid, mais encore pour l'ornement. Il faut avoir le plus beau linge et le plus fin que l'on pourra treuver. L'on ne sçauroit estre trop curieux de ce qui approche si prés de la personne. Quant aux habits, la grande reigle qu'il y a à donner, c'est d'en changer souvent et de les avoir tousjours le plus à la mode qu'il se pourra, et nous entendons par les habits tout ce qui sert de principal vestement avec ses despendances qui servent en quelque partie du corps que ce soit. Il faut prendre pour bons Gaulois et gents de la vieille Cour ceux qui se tiennent à une mode qui n'a plus de cours, à cause qu'elle leur semble commode. Il est ridicule de dire : Je veux tousjours porter des fraises, pource qu'elles me tiennent chaudement ; je veux avoir un chapeau à grand bord, d'autant qu'il me garde du soleil, du vent et de la pluye ; il me faut des bottes à petites genoüilleres, pource que les grandes m'embarrassent. C'est n'entendre pas qu'il se faut captiver (15) un peu pour estre tousjour bien mis. Ne dit-on pas qu'il ne faut pas penser avoir toutes ses aises en ce monde ? L'on a beau dire qu'il n'est rien de si inconstant que le François ; que tantost il porte des chapeaux hors d'escalade, et tantost de bas, tantost de grandes basques, et tantost des petites, des chausses longues et courtes, et que la description de cette bigearrerie (16) ayant esté faicte par quelqu'un en ce qui est des collets, l'on a dit qu'au lieu que nos peres en portoient de petits tout simples ou de petites fraizes semblables à celles d'un veau, nous avons au commencement porté des rotondes de carte forte (17), sur lesquelles un collet empesé se tenoit estendu en rond en maniere de theatre, qu'apres l'on a porté des especes de pignoirs (18) sans empeser, qui s'estendoient jusqu'au coude ; qu'en suite l'on les a rognez petit à petit pour en faire des collets assez raisonnables, et qu'au mesme temps l'on a porté de gros tuyaux godronnez que l'on appelloit encore des fraizes, où il y avoit assez de toille pour les aisles d'un moulin à vent, et qu'enfin quittant tout cet attirail, l'on est venu à porter des collets si petits, qu'il semble que l'on se soit mis une manchette autour du col. Ce sont de belles pensees que l'on se forme pour exprimer le changement d'un contraire à l'autre : mais quoyque cela soit pris pour une censure de nos coustumes, nous ne devons pas laisser de garder nostre varieté, comme la plus divertissante chose de la Nature. Si un autheur a dit aussi qu'il se formalise de ce rond de bottes faict comme le chapiteau d'une torche, dont l'on a tant de peine à conserver la circonference, qu'il faut marcher en escarquillant les jambes, comme si l'on avait quelque mal caché, c'est ne pas considerer que des Gents qui observent ces modes vont à pied le moins qu'ils peuvent. D'ailleurs, quoyqu'il n'y ait guere que cela ait esté escrit, la mode en est desja changee, et ces genoüilleres rondes et estallees ne sont que pour les grosses bottes, les bottes mignonnes estans aujourd'huy ravallees jusques aux esprons, et n'ayans qu'un bec rehaussé devant et derriere (19).

Quant aux canons de linge que l'on estalle au dessus, nous les approuvons bien dans leur simplicité quand ils sont fort larges et de toille baptiste bien empesee, quoyque l'on ait dit que cela ressembloit à des lanternes de papier, et qu'une lingere du Palais s'en servist ainsi un soir, mettant sa chandelle au milieu pour la garder du vent. Afin de les orner davantage, nous voulons aussi que d'ordinaire il y ait double et triple rang de toille, soit de baptiste, soit de Hollande, et d'ailleurs cela sera encore mieux s'il y peut avoir deux ou trois rangs de poinct de Genes, ce qui accompagnera le jabot qui sera de mesme parure. Vous sçaurez que comme le cordon et les esguillettes s'appellent la petite oye, l'on appelle un jabot l'ouverture de la chemise sur l'estomach, laquelle il faut tousjours voir avec ses ornemens de dentelles ; car il n'appartient qu'à quelque vieil penard d'estre boutonné tout du long. Estans aussi avertis qu'à cause que les hommes ne portent plus maintenant de collets à passement ou de poinct coupé, plusieurs les ont mis à leur chemise, nous leur defendons ce mesnage qui sent trop sa mesquinerie, pource qu'il faut qu'un vray Galand n'ait rien qui ne soit neuf et beau, et faict exprès. Pour retourner aux bottes, il les faut avoir à long pied, encore que l'on ait dit qu'il se falloit conformer à la Nature, et garder les mesures. L'on sçait bien qu'au mesme temps que les longs pieds ont esté mis en usage, l'on a aussi porté des chapeaux fort hauts et si pointus qu'un teston les eust couvers : neantmoins la mode de ces chapeaux s'est changee soudain en forme platte et ronde, et les bottes et souliers à long pied sont demeurez, ce qui monstre l'estime que l'on en faict. L'on ficha bien une fois un cloud à quelqu'un dans ce bout de botte, cependant qu'il estoit attentif à quelque entretien, en telle façon qu'il demeura cloué au plancher ; mais tant s'en faut que cela en doive faire haïr l'usage, qu'au contraire si le pied eust esté jusqu'au bout de la botte le cloud eust pu le percer de part en part, et voilà à quoy cela servit à ce Galaad. Aprés les bottes, si vous songez aux esprons, vous les aurez d'argent massif , et leur ferez changer souvent de façon, sans plaindre le coust. Ceux qui seront en bas de soye n'auront point d'autres bas que d'Angleterre, et leurs jarretieres et nœuds de souliers seront tels que la Mode en aura ordonné, et l'on sera averty en general que dés aussitost qu'il y a quelque nouveauté introduite, il y a de l'honneur à l'observer, afin qu'il semble quasi que l'on en soit l'autheur et craignant que l'on ne s'imagine que l'on ait seulement le reste des autres. Pour ce sujet il faut avoir soin de faire depescher les tail-leurs ; car il y en a de si longs et au contraire il y a des modes qui durent si peu, qu'elles sont passees avant qu'un habit soit faict.

XI.

Il y a de certaines petites choses qui coustent peu, et neantmoins parent extremement un homme, faisant connoistre qu'il est entierement dans la Galanterie, d'autant que les melancoliques, les vieillards, les serieux, et les personnes peu civilisees n'en ont point de mes me ; comme par exemple d'avoir un beau ruban d'or et d'argent au chapeau, quelquefois entremeslé de soye de quelque belle couleur, et d'avoir aussi au devant des chausses sept ou huict des beaux rubans satinez, et des couleurs les plus esclatantes qui se voyent : l'on a beau dire que c'est faire une boutique de sa propre personne, et mettre autant de mercerie à l'estallage que si l'on en vouloit vendre ; il faut observer neantmoins ce qui a cours, et pour monstrer que toutes ces manieres de rubans contribuent beaucoup à faire parestre la Galanterie d'un Homme, ils ont emporté le nom de Galands par preferance sur toute autre chose. Depuis mesme, voyant que la pluspart des Dames, au lieu de bracelets de perles, d'ambre, ou de manicles (20) de geaiz (21), se contentent d'entourer leur poignet d'un simple ruban noir, nous avons trouvé bon que les jeunes Galands y en portent aussi pour faire parestre leurs mains plus blanches quand ils osteront leurs gands. Nous ne desaprouvons pas non plus l'intention de ceux qui ont adjousté un ruban incarnat les joignans ensemble, ou s'en servans separement, à cause que toutes ces deux couleurs s'accordent bien à la blancheur et à la delicatesse de la peau et en rehaussent l'esclat. Mais defenses très-expresses sont faictes à ceux qui, venans desja sur l’age ou ayans les mains noires, seiches, ridees ou veluës, en voudroient faire de mesme, d'autant que cela ne tourneroit qu'à leur confusion et mocquerie. Il sera encore permis à nos Galands de la meilleure mine de porter des mousches rondes et longues, ou bien l'emplastre noire assez grande sur la temple (22), ce que l'on appelle l'enseigne du mal de dents ; mais pource que les cheveux la peuvent cacher, plusieurs ayans commencé depuis peu de la porter au dessous de l'os de la jouë, nous y avons trouvé beaucoup de bienseance et d'agréement. Que si les critiques nous pensent reprocher que c'est imiter les femmes, nous les estonnerons bien lors que nous leur respondrons que nous ne sçaurions faire autrement que de suivre l'exemple de celles que nous admirons et nous adorons.

XII.

Nos Galands estans ajustez en la sorte que nous avons figurée, ne tascheront à faire autre chose tout le jour que de se trouver aux lieux où ils croiront avoir meilleur moyen de se faire voir, et quoyque d'ordinaire ils ayent assez de peine à estre devots, ils ne laisseront pas de frequenter les eglises, specialement celles où quelque feste, quelque musique, et quelque Predicateur excellent et nouveau, et la presence de quelque Prince ou Princesse, attirent quantité de gents, et sur tout de ceux qui ne sont pas de petite consideration et du nombre du vulgaire (23) ; car ce n'est pas devant ceux-là qu'il faut Parestre ; et comme c'est aux Dames que l'on desire plaire le plus, ne donnant que de l'envie aux autres hommes, il faut chercher l'endroit où elles se rangent ; mais pource qu'à dire la verité les trop grands temoignages de Galanterie font du scandale dans les Temples consacrez à Dieu et destinez à j’oraison, l'on doit chercher tous les rendez-vous qui sont hors de là, où le beau Monde se treuve ; et les vrais Galands seront curieux de dresser un Almanach où ils verront en quelle saison l'on va promener à Luxembourg (24), et en quelle autre aux Tuilleries (25) ; quand commence le Cours hors la porte Saint-Antoine, et quand c'est que celuy de la Reyne-Mere a la vogue (26) ; quelle longueur de jour peut permettre de visiter les belles maisons d'autour de Paris, et à quelle heure il faut partir pour toutes ces promenades. Lors que l’hyver ne permettra plus de sortir de la ville, les plus adroits de nostre profession doivent sçavoir encore où sont les beaux reduits dans lesquels l'on passe le temps, soit à joüer, soit à deviser, et ils feront leurs efforts pour y avoir de l'accez. Ils scauront aussi les jeux qui auront le plus de cours, comme le nouveau Hoc, et n'ignoreront pas celui de l'Hombre, ny le Reversis et le Picquet, ny le Trictrac, pource qu'il se trouve tousjours quelqu'un qui veut joüer à l'un ou à l'autre de ces jeux, et en ce cas il faut adherer non seulement aux Dames, mais à leurs freres, leurs cousins et autres personnes proches, afin de les gaigner par complaisance, de telle sorte qu'il faut joüer avec eux, quand l'on n'aimeroit point le jeu et quand l'on y seroit malheureux. En ce qui est des longues nuicts de cette froide saison, il faudra qu'ils s'informent s'il n'y en a point quelques-unes que l'on puisse passer au Bal, et d'autant qu'il y a telle nuict que le Bal se donne en vingt endroits de la ville, il faut les sçavoir tous pour aller de l'un à l'autre et voir les visages qui s'y trouvent, s'arrestant enfin à celuy où l'on aura plus d'inclination. Cela s'appelle courir le Bal, et quand l'on danse quelque part un Ballet, il n'y faut pas non plus estre des derniers, et de mesme aux Comedies que les Comediens representent quelquefois aux Maisons particulieres, d'autant que c'est là que se trouvent les plus belles femmes et de plus de condition, et que ce sont des occasions tres favorables pour se faire voir en son lustre devant elles et pour entre[te]nir celle à qui l'on aura voué ses affections.

XIII.

La necessité que l'on a de sçavoir en quel lieu se font les belles parties, où se trouvent les Dames, sont cause que de quelque rang que l'on soit, il est à propos de se familiariser avec quantité de basses gents, dont il faut acquerir la connoissance, à raison de leur employ. On doit connoistre des violons de toutes bandes pour scavoir en quel lieu se donnera le Bal. Il faut connoistre des Musiciens pour apprendre où se fera quelque Concert ; que s'il y en a quelqu'un qui ait la voix belle pour chanter seul et si quelqu'autres jouent excellemment du luth de la viole ou de la guitarre, il faut gaigner leur amitié par toutes sortes de caresses et de presens, et leur donner exprès à disner ou à souper pour les mener de là chez quelque Dame à qui l'on les voudra faire oüir, surtout si elle ne les a jamais ouïs, et si elle en a grand desir pour le recit que l'on lui en a faict ; car vous l'obligerez par ce soin à faire estat de vous, sur la croyance qu'elle aura que vous ne pensez à autre chose qu'à luy plaire. Vous vous efforcerez ainsi de faire voir toutes les nouveautez à celle pour qui vous aurez quelque affection. Vous aurez la connoissance de quelques jardiniers qui vous fourniront des premieres fleurs pour luy envoyer des bouquets ; et si elle aime les fruicts, vous tascherez aussi de lui en faire gouster quelques-uns avant la saison ordinaire. S'il s'imprime quelque Comedie ou quelque Roman, il faut tascher d'en avoir des fueilles, à quelque prix que ce soit, dés auparavant mesme que les dernieres soient achevees, afin de contenter les Dames qui aiment la lecture. Que s'il y a des pieces curieuses qui ne s'impriment point, il faut en avoir la coppie bien escritte, soit que ce soit de mesdisance ou autre sujet, d'autant que l'on oblige une maistresse luy en faisant la lecture, et l'on se divertit et s'instruit pareillement.

XIV.

Nous avons desja permis aux adroits de se servir de la bourse de leurs associez pour fournir à plusieurs despenses où l'on croira qu'ils auront la meilleure part, et nous leur enjoignons aussi de prendre garde à toutes les gentillesses qui se passeront, pour faire que les Dames en soient averties et en ayent le divertissement. Mais, outre cela, nous entendons que chacun fasse quelque despense veritable et manifeste pour se mettre en credit, et qu'en cela il mesure au moins ses facultez. Nul ne peut estre dit vray Galand, qui de sa vie n'a donné le Bal ni la Musique ; et si l'on n'est pas entierement porté à ces recreations, ceux qui n'aiment ny à danser ny à oüir chanter, pour lourdauts qu'ils soient, paroistront assez en donnant une collation, laquelle sera tousjours bien ordonnee si l'on prend conseil de quelque illustre Traiteur, et sans qu'il soit besoin de se donner autre peine que de lui ouvrir son cabinet pour y prendre ce qui sera necessaire aux frais. Ainsi, l'on pourra acquerir de la reputation pour son argent, et cela fera que l'on parlera en bons termes de ceux qui ont faict une telle despense, les appelans magnifiques. Ceux qui se seront trouvez à ce banquet, en estans fort satisfaits, en diront des merveilles à tous leurs amis, tellement que cela volera enfin d'une bouche à l'autre avec beaucoup de loüange.

XV.

Il est besoin de vous donner icy des reigles pour le langage, qui est l'instrument de l’ame, dont il se faut servir dans la Societé. Vous parlerez tousjours avec les termes les plus polis que la Cour reçoive dans son usage, fuyant ceux qui sont trop pedantesques ou trop anciens, desquels vous n'userez jamais, si ce n'est par raillerie, d'autant qu'il n'y a qu'au stile Comique et Satyrique qu'il faille user de ce langage. Au reste, s'il y a des mots que l'on ait inventez depuis peu et dont les gens du Monde prennent plaisir de se servir, il en faut faire comme des modes nouvelles des habits, c'est-à-dire qu'il s'en faut servir aussi hardiment, quelque bigearrerie que l'on y puisse trouver, et quoyque les Grammairiens et faiseurs de livres les reprennent. Par exemple, en louant un homme, il ne faut pas estre si mal avisé que de dire : Il a de l'esprit, ce qui sent son vieil Gaulois ; il faut dire : Il a esprit, sans se soucier de ce que l'on vous objecte que vous oubliez l'article et que l'on pourroit dire de même, il a folie ou il a prudence, car il y a des endroits où cela peut avoir meilleure grace qu'en d'autres. En parlant aussi de la naissance de quelqu'un, l'on doit dire : Il est bien genteilhomme, et qui prononce ce mot autrement ne sait pas que ceux qui sont véritablement nobles se nomment ainsi eux-mesmes. Vous vous servirez encore des façons de parler que l'on a apprises de ceux de Languedoc, de Guyenne ou de Poictou, pource que cela est energique et sert à abroger le discours, comme de dire : Je l'ay envoyé à l'Académie pour qu'il s'instruise, je luy ai dit d'aller au Louvre, je l'ay sorty de son malheur, et plusieurs autres termes, lesquels sont d'autant plus estimables qu'ils sont nouveaux et que des Hommes d'importance s'en servent, de sorte que qui parleroit autrement pourroit passer pour bourgeois et pour un homme qui ne void pas les Honestes Gents (27). Il faut bien se garder aussi de dire que l'on a traicté quelqu'un en faquin : il faut dire que l'on l'a traicté de faquin, car à ce peu de mots l'on connoît si un homme scait les coustumes et le langage des Galands et polis, qu'il faut observer si l'on veut estre bien roceu parmy eux. Il y a beaucoup d'autres termes que l'on apprendra dans leur conversation, et dans tous nos discours nous en avons icy espandu quelques-uns en guise de quelques fleurettes. Quant aux sujets de l'entretien, ce sera premierement sur les louanges des personnes à qui l'on parle, principallement si ce sont des femmes, car c'est la coustuine des Honnestes Gents de louer tousjours ce beau sexe. Que si l'on parle à des Hommes de qui l'on attend quelque support dans ses affaires ou à qui l'on desire de plaire à cause de leur haute condition, il faut tousjours estre dans l'admiration de leur merite au commencement ou à la fin de l'entretien et dans les occasions qui se presenteront par le discours. Au reste, pour parestre de bonne compagnie, il faut souvent conter quelque nouvelle agreable. Il faut tascher de scavoir toutes les intrigues et les amours des personnes les plus remarquables, quels mariages se font et quelles querelles, quels bons tours l'on a joüez depuis peu à des niais qui servent de jouet aux autres, et surtout avoir cette adresse qu'encore que veritablement l'on soit mesdisant, ceux qui vous escoutent ne se deffient point de vous et ne s'imaginent pas que vous soyez homme à les aller deschiffrer (28) ailleurs, comme vous faictes des autres, d'autant que vous leur aurez rendu trop de civilité pour vous avoir en cette estime ; et pourtant s'il y a lieu de les jouer quelque part, ne les espargnez pas, veu qu'il n'y a rien qui fasse tant rechercher vostre conversation que cette agreable raillerie.

XVI.

Pour reigler vostre civilité , vous ne manquerez jamais de saluer ceux qui vous saluent avec une humilité aussi grande que peut estre la leur. Que l'on ne remarque point aussi que vous attendiez qu'un autre mette la main au chapeau le premier, luy laissant faire la moitié du chemin avant que vous commenciez. Chacun a en haine ceux qui en usent ainsi, et cela sent ces jeunes bourgeois venus de bas lieu et montez jusques aux charges de robbe ou de finance par leurs escus, lesquels se gouvernent de cette sorte envers ceux qui les connoissent de longue main, et en acquierent par ce moyen le titre de glorieux et de sots. Quoyque l'on mesprise dans l’ame de certaines gens, il leur faut faire un bon accueil, afin que tout le reste du monde vous donne le nom de civil et de courtois, ce qui convient parfaitement bien à la vraye Galanterie. Mais gardez neantmoins de faire part de vos civilitez à ceux que plusieurs mesestiment, d'autant que cela vous donneront la reputation d'estimer ceux qui ne le vaudroient pas. Ainsi en entrant ou en sortant d'une compagnie, vous pouvez saluer tous ceux qui s'y treuvent, s'ils vous semblent tous Gents de condition et de merite. Que s'il vous parest du contraire, à peine les regarderez vous, et vos reverences ne seront employees que vers les personnes que vous visitez. Quoyque vous vous soyez rencontrez en un mesme lieu, et assis prés l'un de l'autre, à peine les regarderez-vous, et s'ils sont assez hardis pour parler, vous serez assez dédaigneux pour ne pas faire semblant de prendre garde à ce qu'ils disent, et n'y respondant point, vous poursuivrez vostre discours, agissant de mesme sorte en toutes choses que s'ils n'estoient point là ou s'ils n'estoient ny veus ny oüis. Que s'il arrive que ceux avec qui vous vous entretiendrez vous nomment quelquefois quelqu'un qui vous semble estre de trop bas aloy pour avoir de l'affinité avec vous, il faut dire avec un ton mesprisant , Je ne connoy point cela, comme ne scachant pas même de quoy c'est que l'on vous parle, et se gardant bien de dire, Je ne le connoy point, pource que ce seroit encore faire trop d'honneur à une telle personne. Quand il sera aussi question de mespriser quelqu'un en sa présence, il se faudra bien garder de repeter le nom de Monsieur en parlant de luy à quelqu'autre qui se trouvera là, comme par exemple, il ne faut pas dire, N'entendez-vous pas ce que Monsieur vous dit ? mais seulement, N'entendez-vous pas ce qu'il dit ? de mesme que si l'on disoit, ce que celuy-là vous dit, ce qui témoigne un vray desdain. Et en parlant à de telles gents, il ne faut jamais les appeller simplement, Monsieur, mais y adjouster tousjours leur nom. Que si vous arrivez dans une chambre où ils soient desja placez, vous pouvez hardiment prendre place au dessus d'eux, pour leur monstrer ce que vous estes et ce qu'ils sont ; et s'ils vous sont venus voir, quoyque vous en reconduisiez d'autres jusques à la ruë, lesquels vous estimez à cause de leurs richesses et de leurs grands offices ; quant à eux, vous les pouvez laisser aller seuls dés la porte de vostre chambre ou cabinet, sçachant bien qu'ils ne s'esgareront pas. Que si vous vous trouvez en humeur de descendre, que ce soit plustost pour faire exercice que pour aucun respect que vous vouliez rendre, ainsi que vous leur temoignerez assez ; et gardez-vous bien de marcher après eux, mais prenez le devant, ou tout au moins la main droite, et les quittez en tel lieu qu'il vous plaira, les y surprenant mesme lors n'y penseront pas, pour leur monstrer que ce n'est pas à eux à limiter vostre ceremonie, et que vous ne faictes que ce qui vous plaist, sans y estre obligé. Enfin pratiquant toutes ces ceremonies et grimasses mondaines où il y a tant de mystère, vous croirez que c'est ce que l'on doit appeller une noble fierté, nouvelle vertu de ce siecle dont l'on parle tant, et dont les anciens Philosophes n'ont jamais eu l'esprit de s'aviser.

XVII.

Nous vous déclarons que toutes ces Loix, estans generalles, doivent estre observees par tous ceux qui voudront faire profession de Galanterie, et qu'il y en a quantité d'autres particulieres appropriees à de certaines personnes, tant pour les eslever aux honneurs et aux richesses, qu'à l'amour des Dames et autres parties de nostre souverain Bien, lesquelles sont contenuës en des articles secrets et vous seront communiquees apres quelques mois de probation. Mais vous serez avertis de ne vous point tellement arrester ny aux unes ny aux autres, que vous ne songiez tousjours que leur changement est perpetuel, et que vous ne vous prepariez à en recevoir de nouvelles de nostre part quand il nous plaira de vous en donner. Au reste, nous croyons avoir si bien imprimé icy et ailleurs le vray caractere de la Galanterie Françoise, que quand nos seings manuels n'y seroient point aposez, vous pourriez bien remarquer que cela ne peut proceder que de Gents qui sont consommez en cette matiere et qui peuvent servir de modelle à tous ceux qui voudront suivre nos Loix, puisque nous sommes tousjours des premiers à les observer.

Il ne faut pas que les Dames s'estonnent de ce qu'il n'y a eu icy aucune ordonnance pour elles, puisque leur Galanterie est autre que celle des hommes, et s'appelle proprement Coquetterie, de laquelle il n'appartient qu'à elles de donner des reigles.

FIN.


NOTES :
(1) La Ruelle mal assortie a été réimprimée dans la Collection des Pièces rares ou inédites, Paris , Aubry, 1855.
(2) Ainsi, dans les fabliaux, quand il est question de rendez-vous amoureux, soit à la ville, soit au village, l'auteur parle toujours du bain que prennent d'abord les deux amants.
(3) La Ruelle mal assortie, édition Aubry, p. 17.
(4) Madame A...., dit-il, étoit fort agréable, avoit le teint beau, la taille jolie et étoit fort propre. (T. III, p. 238.)
(5) C'est ce que plus tard on appela les fermes. Le nom de partisan fut alors remplacé par ceux de fermier et de traitant.
(6) Il libro del Cortegiano, par le comte Balthasar de Castiglione. La première édition est de Venise, Alde, 1528, in-fo. Cet ouvrage, souvent réimprimé, a été traduit en français par J. Colin, Paris, 1537, Lyon, 1538, et par Gab. Chapuis, sous le titre de : Le parfait Courtisan, du comte Baltasar, Castillonnois, en deux langues, Lyon, 1580, et Paris, 1585, in-8. C'est à cette dernière traduction que l'auteur fait allusion ici.
(7) L'Honeste Homme ou l'Art de plaire à la Court, par le sieur Faret, 1630, in-4.
(8) C'est le personnage que Dorante joue dans le Bourgeois Gentilhomme.
(9) Voy. la Commodité des bottes en tous temps, Paris, 1630, in-8. On lit dans la Traduction d'une Lettre italienne écrite par un Sicilien à un de ses amis, contenant une critique agréable de Paris : « Comme l'on jette toutes les immondices dans les rues, la vigilance des magistrats ne suffit pas pour les faire nettoyer ; cependant, les dames ne vont plus qu'en malles. Autrefois, les hommes ne pouvaient marcher à Paris qu'en bottines, ce qui fit demander à un Espagnol, les voyant en cet équipage le jour de son arrivée, si toute la ville partait en poste. » (Archives curieuses de l'Histoire de France, 2e série, t. XI, p. 164.)
(10) On se rappelle le vers de Boileau : Guenaud, sur son cheval, en passant m'éclabousse.
(11) Les chaises à porteur étaient d'abord découvertes, et leur usage avait été introduit par la reine Marguerite, au dire de Sauval. (Antiquités de Paris, t. I, p. 192.) En 1647, Pierre Petit, capitaine des gardes du roi, associé avec Jehan Regnault d'Ezanville et Jehan Douet, obtint pour dix ans le privilège de ces chaises, qui, suivant le même auteur, ne leur procura pas grand profit. (Voy. dans les Archives curieuses, IIe série, t. II, p. 48, le texte des lettres patentes données à ce sujet. Voy. aussi ibid., p. 428.) Suivant Tallemant des Réaux, ce fut Souscarrière, un chevalier d'industrie que le duc de Bellegarde consentit, moyennant finance, à reconnaître pour son fils naturel, qui introduisit en France l'usage des chaises à porteur couvertes. « Etant, dit-il, allé en Angleterre pour se remplumer de quelque perte qu'il avoit faite……, il en apporta l'invention des chaises, dont il eut le don en commun avec Mme de Cavoy. Pour leur donner la vogue il n'alloit plus autrement, et, durant un an, on ne rencontroit plus que lui par les rues, afin qu'on vit que cette voiture étoit commode. Chaque chaise lui rend toutes les semaines cent sous ; il est vrai qu'il fournit de chaises, mais les porteurs sont obligés de payer celles qu'ils rompent. » (T. VII , éd. in-1 8, p. 102.) Ce fut en 1639 que ce Souscarrière, marquis de Montbrun, et Cavoy, capitaine des gardes de Richelieu, obtinrent par brevet et lettres patentes le privilège des chaises à porteur, « pour en jouir, tant à Paris que dans les autres villes du royaume, pendant 40 années ». En 1644 Montbrun en devint seul propriétaire, et son fils naturel le conserva après lui jusqu'en 1679. A cette époque le privilège rentra dans la maison de Cavoy, à qui il fut confirmé pour 40 années, à partir de 1749. (Voy. DELAMARE, Traité de la police, 1. VI, tit. XII, section III.)
(12) Pansent.
(13) Les barbiers-perruquiers furent créés au mois de décembre 1637 et formèrent dès lors une communauté distincte des barbiers-chirurgiens.(Voy. DELAMARE, Traité de la police, édit. de 1722, t. I, p. 386.)
(14) Sourcil.
(15) Contraindre, gêner.
(16) Bizarrerie.
(17) Carton.
(18) Peignoirs.
(19) Il semble que Molière ait eu en vue ce paragraphe et le suivant quand il fait parler ainsi Sganarelle dans la scène Ire du 4e acte de l'Ecole des maris (jouée en 1661) :

SGANARELLE

Ne voudriez-vous point, dis-je, sur ces matières,
De vos jeunes muguets m'inspirer les manières
M'obliger à porter de ces petits chapeaux
Qui laissent éventer leurs débiles cerveaux,
Et de ces blonds cheveux de qui la vaste enflure
Des visages humains offusque la figure ?
De ces petits pourpoints sous les bras se perdant,
Et de ces grands collets jusqu'au nombril pendant
De ces manches qu'à table on voit tâter les sauces
Et de ces cotillons appelés hauts-de-chausses ?
De ces souliers mignons, de rubans revêtus,
Qui vous font ressembler à des pigeons pattus
Et de ces grands canons où, comme des entraves,
On met tous les matins ses deux jambes esclaves,
Et par qui nous voyons ces messieurs les galants
Marcher écarquillés ainsi que des volants ?
.    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .    .
Je veux une coiffure, en dépit de la mode,
Sous qui toute ma tête ait un abri commode ;
Un bon pourpoint bien long  et fermé comme il faut,
Qui, pour bien digérer, tienne l'estomac chaud ;
Un haut-de-chausses fait justement pour ma cuisse ;
Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice,
Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux,
Et qui me trouve mal n'a qu'à fermer les yeux.

(20) Espèce de bracelets, du latin manicula.
(21) De jais.
(22) Tempe.
(23) « Le peuple fréquente les églises avec piété. Il n'y a que les nobles et les grands qui y viennent pour se divertir, pour parler et se faire l'amour, et on voit quelquefois des hommes qui y entrent avec des bottes, sans se souvenir du respect qu'ont les mahométans, qui, avant d'entrer dans leurs mosquées, laissent leurs souliers à la porte. » (Critique agréable de Paris, loc cit. p. 178.)
(24) Au jardin du Luxembourg.
(25) Voyez-en la description dans la Critique agréable, ibid., p. 186.
(26) Le Cours-la-Reine. Ce fut Marie de Médicis qui le fit planter. Les lettres patentes données à ce sujet sont du 2 avril 1628.
(27) « L'honnête homme , écrit Bussy à Corbinelli, est un homme poli et qui sait vivre. » (Lettre du 6 mars 1679.)
(28) Déchiffrer quelqu'un, dévoiler ses travers, ses défauts.

(texte non relu après saisie, 17.12.06)

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