Jean-Joseph Vadé
(1719-1757)

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Les Bouquets poissards

Epitre dédicatoire à l’auteur par ses amis

Il doit vous paraître étonnant, monsieur, de voir quelques-uns de vos ouvrages imprimés, sans les avoir vous-même confiés à l’imprimeur ; et vous devez trouver bien singulier de vous les voir dédier sans peut-être vous douter de l’intention de ceux qui vous adressent cette épitre. Quoi qu’il en soit, c’est moins un larcin que nous vous faisons, qu’un hommage authentique que nous rendons à vos talents ; c’est moins aussi indiscrétion que zèle, qui nous a déterminé à rendre cet ouvrage public. Quand on a pour objet votre gloire, vos intérêts particuliers et l’amusement général, est-on répréhensible ? et peut-on craindre d’être accusé de témérité ? Toutefois, si vous étiez mécontent de la liberté que nous avons prise, l’accueil favorable que vos Bouquets recevront indubitablement nous servira d’excuse. D’ailleurs, que risquez-vous, monsieur ? N’avez-vous point joui des suffrages de tous ceux qui vous les ont ouï réciter ? Les connaisseurs et les gens plus rigides ne vous ont-ils point applaudi ? « Il sait (disaient-ils) promener ses auditeurs et ses lecteurs dans une galerie de tableaux grotesques, l’imagination ébauche ses portraits, la vérité broye les couleurs, la nature les applique, et la finesse achève l’ouvrage. » Que voulez-vous de plus qu’un témoignage aussi satisfaisant ? Le naïf de vos Lettres de la Grenouillère est encore remarqué par bien des personnes de goût ; on aperçoit, à travers l’enveloppe burlesque du style, une intrigue intéressante, suivie, et délicate.

Souffrez, monsieur, que nous fassions succéder à la justice que nous vous rendons, quelques reproches d’amitié sur votre négligence ; êtes-vous pardonnable de ne point achever vos Fables, vos Epitres et vos Contes, etc.? Nous plaidons contre vous la cause du public, en vous excitant à lui faire part de toutes vos productions, persuadés que si nous venons à bout de vous la faire perdre, vous y gagnerez beaucoup, puisque l’estime publique est un salaire d’un prix inestimable pour ceux qui pensent comme vous ; soyez, nous vous en prions, persuadé de la nôtre, et de l’amitié sincère avec laquelle nous sommes, monsieur, DEVINEZ.

Avertissement

Il est peu de gens qui n’ayent entendu les femmes des halles débiter ce qu’elles disent avec ce ton original qui leur est propre, ou tout au moins se sont-ils trouvés avec des personnes qui imitent ce langage ; il est donc nécessaire, pour l’agrément de la lecture de ces Bouquets, de tâcher de prendre l’inflexion de voix poissarde aux endroits marqués de guillemets ou lacunes qui servent à indiquer le changement de ton.

 
Premier Bouquet poissard

J'aime à payer ce que vaut une chose ;
Mais je répugne à la payer deux fois :
Je suis piqué, je l'avoue et je croi
Devoir vous en dire la cause.
Madame, à deux pas du logis
Rencontrant une bouquetière,
Je l'aborde et lui dis : – la mère,
Faites vite un bouquet. Nous convenons de prix.
Pour qu'il soit plutôt fait je la paie d'avance.
Elle aussitôt détache une botte de fleurs.
Dieu sait avec quelle élégance.
Elle assortit leurs diverses couleurs !
De feuilles d'orangers galamment décorées,
Pour en faire un bouquet il lui manque un lien :
Comme elle l'achevait, ne s'attendant à rien ;
Ne voilà-t-il pas les jurées
Qui viennent tout à coup saisir son pauvre bien !
Elles sautent sur l'inventaire (sic)
S'emparent des bouquets sans oublier le mien.
Ma marchande se désespère,
Et ne voyant aucun moyen
Pour accomoder cette affaire,
D'un coup de pied en jette une par terre,
Bat les deux autres comme un chien,
Puis s'en fuit ne pouvant mieux faire.
Quel scandale pour moi ! je crois que la colère
Fait oublier qu'on est chrétien !
De leur frayeur ces trois dames remises
S'en vont pestant d'avoir reçu des coups,
Je les arrête et je leur dis : – tout doux !
Dans les fleurs que vous avez prises
Je réclame un bouquet que j'ai payé... – Qui ? vous ?
– Oui, moi ; tâchez de me le rendre.
Monsieu l'a dit, on l'y rendra :
Qu'il est genti ! – Y s'fache ! – Y rira :
Sa bouche commence à s’fendre ;
Ce s'rait ben dommage de l'pendre
Car il paraît qu'il grandira.
– Vous m'insultez, leur dis-je, je vais vous apprendre
Qui je suis. – Ah ! comme il nous l'apprendra !
Mon double coeur ! quand tu serais le gendre
Du diable qui t'emportera ;
Pince donc c'bouquet si tu l'ose...
Donnez-ly du vinaigre, y n'aime pas l'eau rose.
– Qui je suis... – Eh ! qu'es-tu donc avec ton grand chapiau,
Ton habit qui se meurt ! et ta fameuse épée !
C'est, dit l'autre, un seigneur, un cadet du châtiau
Qu'est tout vis-à-vis la Rapée.
Il grince des dents ! ah j'ai peur !
Parlez donc, monsieu la terreur,
Faites donc pas comme ça ? ça gâte l’visage.
Jérusalem ! saint Jean ! mon doux Sauveur !
Qu'il est dégourdi pour son âge !
Trois poulets d'Inde et pis monsieur
Feraient un fringant attelage !
Elles en auraient dit encore davantage ;
Mais la troisième, par bonheur
Lui dit : – Finis, tu fais trop de tapage,
Quand on ne te dit rien, t'es bien fière en caquet,
Qu'est-ce qu'il t'a fait, ce jeune homme.
Et pis qu'il l'a payé, donne-ly son bouquet.
Son bouquet !... crac, il l'aura comme...
Tu m'entends ben ? qu'i nous donne dix sous.
– Ah ! dis-je, les voilà ; que ne me disiez-vous !
Lors de ma bonne foi toutes trois interdites,
Me donnent des oeillets par-dessus le marché.
Parlez donc mon poulet ? vous n'êtes pas fâché
Contre nous autres ? pas vrai, dites !…
– Moi ? point du tout. – Adieu donc not'bourgeois
J'l'avons trop ahury; ça me fait de la peine,
Je devrions toutes les trois
Ly faire dire une neuvaine...
Tu gouailles toi : mais moi si j'étais reine,
Il serait godard dans neuf mois.
– Madame, telle est l'aventure
De ce bouquet si longtemps contesté ;
Si de vous il est accepté,
Malgré l'argent, le courroux et l'injure,
Il ne sera pas trop cher acheté.

Second Bouquet

Toujours l’événement nous prouve
Que pour trouver il faut chercher,
Et que même souvent on trouve
Ce qu’on ne cherche pas. Tel croyant dénicher
Des rossignols, déniche des linottes ;
Mais, direz-vous, où tend cette comparaison ?
C’est nous dire à propos des bottes
Que le printemps est la belle saison.
Madame, point d’aigreur, ce petit préambule
Vous paraîtra moins ridicule
Quand vous saurez que j’ai cherché
Dans plus d’une boutique et dans plus d’un marché
Sans trouver un bouquet digne de votre fête ;
Même en chemin, s’il vous plaît, je m’arrête
Chaque fois que j’entends crier
Des bouquets pour Nanon, Nanette.
Chacun en marchande, en achète ;
J’en choisis quatre ou cinq, je reviens au premier ;
Le premier me déplait ainsi que les quatre autres.
Je les replante tous sur le bord du panier…
Parlez-donc, me dit-on, faut pas tant les magnier,
Vous avez vos dégoûts, j’avons ytout les nôtres,
Avec son habit rouge ? Eh ! monsieu tout en feu !
V’nez vous l’aurez pour rien, cet échappé d’andouille.
Mais c’est vrai, tiens ça vous patrouille
C’te marchandise et puis sa part : Adieu !…
Dans d’autre temps j’aurais pu me défendre ;
Mais sans m’amuser à l’entendre
Je cours ; une autre vient à moi.
Vla, dit-elle, du beau, mon roi,
T’nez voyez-moi tout ça. Vla t’y d’ la fine orange,
Et des œillets ! Ça parle, on vous voit ça de loin,
T’nez, fleurez moi ça, ça f’rait r’venir un ange
S’il était mort… Pendant ce baragouin
Elle ajuste un bouquet énorme,
Mais presque aussi gros qu’un balai…
Comment le trouvez-vous ? – Moi ! lui dis-je, fort laid…
Allez, monsieu le beau ; que Charlot vous endorme,
Tirez d’ici, meuble du Châtelet.
Un pareil propos n’est point agréable !
Je me suis vu donner au Diable
Par cent vendeuses de Bouquets ;
Ces Dames souvent s’abandonnent.
Si Lucifer prenait les gens qu’elles lui donnent,
Vous ne me reverriez jamais.
Pourtant sans le secours de Flore,
Je prétends vous offrir mon hommage à mon tour
Votre éclat seul vous pare et vous décore ;
Les Lys de la candeur, les Roses de l’amour
Forment votre ornement et brillent plus encore
Que les fleurs que chacun vous présente en ce jour.
Ah, direz-vous, la ruse est bonne !
Ne voulant rien donner, il fait un compliment.
Point du tout, Madame, un moment,
Sans eau ne baptisons personne :
Si Flore m’a traité rudement,
Je me suis pourvu chez Pomone,
Et pour Bouquet recevez ce Melon.
– Un Melon ! Ah ! Monsieur badine,
Est-ce pour faire allusion
A votre sexe ? – Non, Madame, parbleu non ;
C’est pour manger, du moins je l’imagine,
Je serai content s’il est bon.

Troisième Bouquet

Qui mal veut, mal lui tourne, on l’a dit avant moi,
D’autres viendront après qui le diront encore :
Pourquoi ce Proverbe ? Pourquoi !
Vous allez le savoir… Aujourd’hui dès l’Aurore
Je pars de mon logis, ou peut-être d’ailleurs ;
J’arrive dans l’endroit où Flore
Voit à regret débiter ses faveurs,
Où chaque nymphe avec adresse étale
L’une des fruits, l’autre des fleurs ;
Cet endroit, madame, est la halle.
Vous devinez pour quel sujet
J’ai si matin visité cette place ?
Pour vous choisir un passable bouquet,
L’heure, le bruit, le temps, les cris, rien ne m’embarrasse
J’en achète un : mon achat fait,
Je veux passer. Vous croyez que l’on passe
Dans ces lieux-là comme on veut ? Point du tout.
Deux commères étaient aux prises,
Et disputaient un panier de cerises.
Enchanté ! je veux voir la scène jusqu’au bout :
On s’échauffe, mille sottises
De s’empoigner leur donnent l’avant-goût.
Ah, disait l’une, on te les garde !
Chatouillez-ly les p’tits boyaux :
Tu les auras, vierge de corps-de-garde,
Quand j’aurais rendu les noyaux !
Maints gros jurons couraient la poste ;
C’était à qui donnerait le dernier.
Après riposte sur riposte,
On a partagé le panier.
Moi, riant des bons mots qu’elles venaient de dire,
Pour en entendre encore, je reste entr’elles deux.
Mais, dit l’une, vois donc, que souhaite monsieu !
Comme il est là ! Quoi donc ! qui le fait rire !
Parlez donc, p’tit Jésus d’ cire,
Vous êtes comme un amoureux.
Comme l’vla fleury ! V’nez ça qu’on vous admire.
Ah Javotte, les beaux petits yeux !
Qu’ils sont brillants ! Viens donc voir, on s’y mire !
Soudain je me vois entouré
De six à sept, et par degré
On s’apprivoise, on rit ; l’une m’arrache
Deux grenades et du jasmin,
Puis à son coté les attache ;
Et l’autre me lâchant un grand coup sur la main
Me fait sauter le reste… – Allez-vous-en au diable,
Mesdames, avec vos façons :
Est-ce que nous nous connaissons
Pour badiner ainsi ?… – Chien, qu’il est raisonnable !
On ne le connaît pas. Eh ! non.
Vous verrez ça ! Te souviens-tu, Manon,
D’avoir vu danser dans c’te place
S’te gueuse à qui Charlot avait mis sous l’ menton
Un grand désespoir de filasse ?
C’était sa mère ; envreté d’Dieu !…
Dis donc pas ça toi, ça l’fâche :
C’est l’bâtard de mons Mathieu,
Donneux d’eau bénite à Saint-Eustache,
Ah ! la belle veste au fond bleu !
Vois-tu la frange au bas, madame ?
C’est tout comme un r’posoir, et saint Gille au milieu !
Quoi donc, l’épée au vent ! Ah ! voyons donc la lame.
– C’en est trop, laissez-moi, morbleu !
Je ne puis soutenir des injures pareilles.
Si vous ne cessez votre jeu,
Je vais vous couper les oreilles.
Les oreilles, mon cher enfant !
Queu possédé ! gare ! il est en colère.
Il est quatre fois plus méchant
D’puis qu’il est r’venu de galère !
Ly ? méchant ! Non y fait semblant ;
Il a l’air tout défait ! mais c’est toi qui en est cause !
N’l’agonisons plus, mais tien,
Faisons-l’y payer queuque chose,
Va, va-t’y ? – Va, je l’ veux bien…
Au même instant, les coquines m’entraînent
Chez un marchand de brandevin.
Sans vous commander, notre voisin,
Lâchez-nous, s’il vous plaît, chopine
De paf en magnière d’eau divine,
V’la monsieu, qui n’est pas vilain,
Qui nous régale, aussi j’l’aimons pû qu’ma vie !
Allons, byou, mettez-vous là.
Babet, verse à monsieu. Aimez-vous l’eau-d’vie ?
– Non, je ne bois point de cela.
Ah mon Dieu, de cela ! Manon ! comme ça parle ?
Queu façon ! buvez donc ; t’nez, quand c’est avalé,
Ça court au cœur, ça vous l’régale.
Dame ! on vend y tout du mêlé,
En voulez-vous, monsieur l’enflé ?
Y n’aim’ peut-être pas boire dans des tasses.
Veut-y un verre ? – Hé ! non, en vérité !
Hé bien donc, à votre santé.
Vous me faites honneur, je vous rends mille grâces.
Ah j’aimons mieux le bénédicité !
Allons, tais-toi, Fanchon, va tu ne sais pas vivre :
Vois-tu pas ben que c’est un compliment ?
Monsieu a lû l’écriture d’un livre,
Ça fait que sa magnière accueille poliment.
Pas vrai, monsieu ?Quoi, n’y a pû d’quoi boire !
J’irons ben jusqu’à tras d’mistiers,
Si monsieu veut ! – Ah ! volontiers.
Dépêchez-vous, père Grégoire,
Moitié d’ça, vite, alerte, et du bon.
Ça, faut nous excuser, note maître :
Car vous nous en voulez peut-être ;
Mais en vous demandant pardon,
Et en vous baisant, je serons quittes…
– Ce n’est point tout ce que vous dites
Qui m’offense le plus ; mais c’est
De m’avoir jeté mon bouquet ;
Et pour en trouver un de même,
Aussi frais, aussi beau… – Vous me donnez l’oquet
Avec votre chien de regret,
Mais c’est vrai ; tien, le v’la tout blême.
Allez, n’vous chagrinez pas,
J’allons aller cheux mon oncle Batiste,
C’est un bon jardinier fleuriste,
Il a des fleurs jusqu’à la Saint-Thomas :
C’nest pas ben loin qui demeure :
Drès qu’jaurons bu ça, j’irons.
Allons, Babet, achève, et pis partons.
Monsieu paye-t-y tout ? – Oui. – C’est bon.
Quoi donc ! C’est pas par-là ! Comme y court ? Y s’en va ?
Dites-nous donc adieu, hé Daniel, bon voyage :
C’est pourtant l’bon Dieu qu’a fait ça !
Queu malin chien ! Parlez la belle image ;
Courez donc pas si fort, vos mollets vont tomber :
Otez-vous donc d’son passage,
Il a l’mors aux dents, gare ! y va regimber…
Grâce à mes pieds, de leurs mains je m’échappe,
Protestant bien qu’avant qu’on m’y rattrappe,
On verra vos attraits le céder à Vénus,
En défaut changer vos vertus,
Et mon respect, mon amitié, mon zèle,
Désavouer mon hommage fidèle.

Quatrième Bouquet

Quoi, je ne pourrai pas vous donner un Bouquet
Sans risquer quelques invectives ?
Sans essuyer de ces femmes rétives
Tout ce que leur maudit caquet
Va recueillir dans les archives
Des Ports, des Halles, du Guichet ?
– Bon ! direz-vous, qu’est-ce que cela fait ?
Vous ripostez à leurs façons naïves :
Vous en riez vous-même… – Oh non pas, s’il vous plaît.
Aurais-je débuté par des rimes plaintives,
Si je n’étais tout stupéfait
De ce qu’elles m’ont dit en paroles trop vives ?
Fort sérieusement je vais conter le fait.

Vers le milieu de votre rue
Une femme s’offre à ma vue
Avec un Corbillon sur son ventre perché,
Des Bouquets à l’entour. – Monsieu, Monsieu, dit-elle,
Vous oubliez du fin. Je me suis approché.
– Je voudrais, ai-je dit, la fleur la plus nouvelle…
Prenez s’t’orange-là, gni’ en a pas dans l’ marché
D’plus mieux. – Combien ? – vingt sols en conscience.
Les recevant elle a lâché
Un ris suspect à ma prudence :
J’examine et je vois mon Bouquet attaché
Au bout d’une allumette. – Ah, dis-je, l’impudence !
Mais votre Bouquet est fiché,
Il n’a point de queue… – Allez, gonze !
S’il est fiché ; vous, vous êtes fichu,
Chien d’Aumonier du Cheval de bronze,
Bel ange à double pied fourchu ;
Demandez-moi quoi qui me d’mande,
Avec son visage sans viande,
N’avez-vous pas ach’té ? Voyons, parlez…Oui, oui,
– Mais tenez gardez-le… – Mon fiston, grand merci :
Queux gracieusetés…Allez laissez-la dire,
Me dit une autre en s’approchant,
Ly répondre serait bien pire,
All vous grugerait d’un coup d’dent,
Hé Thérèse, dit la première,
Tu vois ben s’ Monsieu ? C’est un chien
Qui m’trumprait s’il ne valait rien ;
Car il vous a la mine fière
Et le cœur doux. Eh mais ! Il est en deuil,
Ça vous va ben ! ça sied à vott’ figure,
Il a les grâces d’un cercueil :
V’nez m’ baiser, v’nez…Ah t’es trop dure !
T’nez, Monsieu, moi j’ vas vous accommoder ;
– Soit, dis-je. – Ah ç’a n’ va pas tarder,
J’ men vante. L’autre que le Diable
Chargeait du soin de me faire damner,
Les bras croisés, d’un œil désagréable,
S’occupait à m’examiner.
Quoi, dit-elle, Fareau ! vous portez donc la tuette !
Mais répond l’autre, all est ben faite
Pour Monsieu…Ly ? C’est l’ fils d’ quelques Vitriers.
A quoi donc qu’tu vois ça ?…Droit aux yeux ça se jette.
Tien, il a des panneaux de Verre à ses souliers.
Vois-tu comm’ça tarluit ! chien ! ça m’ébarluette.
Va, tais-toi donc, sont des blouq’s à diamans.
Hé morbleu, dis-je à la seconde,
Dépêchez-vous donc… – Monsieu gronde.
Thérèse, as-tu fini ? Tu fais bisquer les gens,
Faut qu’il aille porter ses billets d’enterr’ments,
Dépêche-toi…Que je me dépêche ?
S’il est pressé, quéqui l’empêche
De fouiner… Je la prends au mot,
Et je pars ;… – Parlez-donc ? vieux manche de Gigot :
L’homme ! eh l’homme au Bouquet sans queue,
V’nez, c’est qu’on rit, Monsieu ragot :
It sent l’ damné d’un quart de lieue :
Vous arrivrez core assez tôt
Pour faire peur…Allez, Madame,
Par charité, donnez-ly l’ bras ;
Le vent va l’envoler, car il ne pèse pas
La moitié de sa fine lame.
Jusque chez vous elles m’ont poursuivi :
J’y suis donc enfin, Dieu merci.
Mais n’attendez point, je vous prie,
Ni Bouquet, ni la moindre fleur,
Non pas même un souhait flatteur
Pour votre personne chérie,
Je suis de trop mauvaise humeur.
Je me borne à vous rendre compte
De mon guignon et de ma honte ;
Et votre esprit vif, doux, léger, touchant,
Vos attraits, vos vertus, votre amitié sincère,
Ainsi que votre excellent caractère,
Se passeront de compliment.


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